samedi 12 décembre 2015

Le marché des protéines s’annonce très prometteur à l'horizon 2030

Le marché des protéines s’annonce très prometteur dans les décennies à venir compte tenu de l’évolution démographique mondiale et surtout de la « faim de viande » d’une grande partie de la population des pays émergents.

Le pôle de compétitivité Valorial, qui se définit comme « le pôle de l’aliment de demain », organisait le 3 décembre dernier à Rennes un colloque sur le thème « Protéines 2030. Les demandes à saisir en France et dans le monde ». Son objectif n’était pas tant d’étudier de ce que l’on appelle de plus en plus communément les « protéines du futur », comme les micro-algues, les insectes ou les champignons, que les protéines plus traditionnelles, en particulier la viande, à l’horizon 2030. En clair, le futur des protéines, plutôt que les protéines du futur.

Pour cela, Valorial a réuni de nombreux experts particulièrement reconnus dans leur domaine de spécialisation, comme Anne Mottet, chargée de politiques d’élevage à la FAO, Nico Van Belzen, le directeur général de la Fédération internationale laitière, Yves Trégaro, de FranceAgriMer sur la viande, ou encore Céline Laisney, d’AlimAvenir sur les protéines alternatives (substituts de viande), que WikiAgri a d'ailleurs déjà eu l’occasion d’interviewer. Plus largement, on pouvait trouver parmi les intervenants à ce colloque des représentants d’institutions publiques (FAO, France Agri Mer, Bretagne Développement Innovation), d’organisations professionnelles (Fédération internationale laitière), de groupes coopératifs (Cooperl Arc Atlantique, Groupe Even) et industriels (Groupe Avril, Nutriset), mais aussi des chercheurs (INRA, Agrocampus Ouest) et des consultants (AlimAvenir, Nielsen). Un blog sur le site internet de Valorial est également dédié au colloque. On peut y retrouver des interviews de certains des intervenants. Enfin, ce colloque a été un succès puisqu'il a attiré pas moins de 230 participants.

Une demande croissante en protéines animales et végétales

Que doit-on retenir de ce colloque ? Ces dernières décennies, deux observations ont pu être faites dans le secteur des protéines. La première est un très net accroissement de la demande de protéines animales à l’échelle mondiale. Ainsi que l’affirme Jean-Paul Simier, le directeur Agriculture et agroalimentaire de Bretagne Développement Innovation (BDI), « la planète a faim de viande ». En 50 ans, la consommation de viande dans le monde a été ainsi multipliée par 4 pour atteindre 320 millions de tonnes : la consommation de volailles a même été multipliée par 8, celle de porcs par 3 à 4 et celles de ruminants (bovins et ovins) par 2. Deux données mentionnées durant le colloque tendent à donner la mesure de cette soif immense de viande dans certains pays : le prix du porc en Chine est actuellement supérieur au prix du porc en Europe et le cours de la queue de porc dans ce même pays atteint le niveau de celui de l’épaule…

Cette évolution a été néanmoins différenciée selon les régions. Cet accroissement de la demande en protéines animales a été prononcé dans les pays émergents et faible dans les pays développés. Cela se traduit notamment par une modification significative du marché international de la viande depuis quelques années. La volaille, que Jean-Paul Simier qualifie de « véritable viande planétaire du XXIe siècle », est ainsi appelée à devenir dans les années à venir la première viande produite dans le monde devant le porc. Il en est de même dans les échanges internationaux où la volaille fait désormais l’objet de davantage d’échanges que le bœuf, pourtant la viande la plus échangée durant une longue période.

Sur la base de ces constats, les questions-clefs posées par ce colloque étaient donc de savoir (1) si ces tendances sont susceptibles de se poursuivre d’ici à 2030, (2) si nous parviendrons à satisfaire ces besoins croissants en protéines, notamment animales, compte tenu des contraintes démographiques et climatiques et (3) comment réussir à saisir cette « superbe opportunité », selon l’expression d’Anne Lacoste, la responsable de la R&D chez Cooperl, que représente ce vaste marché qui s’offre aux producteurs et aux transformateurs.

Une demande toujours aussi forte d’ici 2030

D’après des données du cabinet de conseil BIPE, elles-mêmes la plupart du temps fondées sur des chiffres de la FAO, qui ont été divulguées par Luc Ozanne (groupe Avril) durant le colloque, la demande mondiale en protéines devrait croître de 40 % entre 2010 et 2030, avec une hausse de 33 % pour les protéines animales et de 43 % pour les protéines végétales. La croissance de la demande de protéines végétales devrait être en grande partie liée à la demande de l’Afrique subsaharienne et de l’Inde, et la croissance de la demande de protéines animales à celle de la Chine en particulier.

Ceci peut être expliqué par deux facteurs. Le premier est bien entendu la croissance de la population mondiale qui s’établirait à 8,4 milliards en 2030. Cela représente par conséquent un accroissement de 22 % de la demande alimentaire entre 2010 et 2030. Cette croissance démographique concernerait en premier lieu l’Asie du Sud et l’Afrique subsaharienne. L’un des symboles de cette croissance est qu’à partir de 2017, il devrait y avoir plus de naissances au Nigeria qu’en Chine. Or, ce sont aussi les régions où la consommation de viande est le plus appelée à se développer dans les décennies à venir, notamment en lien avec la transition nutritionnelle.

Le second facteur est, en effet, la transition nutritionnelle que l’on peut observer dans les pays du Sud et les pays émergents suite à l’enrichissement et à l’urbanisation que les populations de ces pays ont pu connaître ces dernières années. Ce phénomène est maintenant bien connu. Il s’agit du passage d’un régime alimentaire contenant une faible quantité de protéines à un régime riche en protéines. Mais il tend à évoluer en plusieurs étapes. Luc Ozanne parle à ce propos de deux transitions alimentaires.

Baisse de consommation de viande de 2 % en Europe entre 2010 et 2030

La première transition se caractérise par un accroissement de la consommation de protéines, avant d’aboutir à une stabilisation. Durant la phase d’augmentation de la consommation, on peut observer, dans un premier temps, une consommation plus importante de protéines végétales, puis dans un second temps, de protéines animales. Ensuite, durant la phase de stabilisation, les populations tendent à consommer davantage de protéines animales que végétales. L’Inde et l’Afrique subsaharienne se situeraient dans la phase d’accroissement de la quantité de protéines végétales consommées, tandis que la Chine et la région Afrique du Nord-Moyen-Orient sont dans la phase d’augmentation significative de la consommation de protéines animales. A l’horizon 2030, Luc Ozanne estime que l’Inde et l’Afrique subsaharienne seraient dans cette phase de plus importante consommation de viandes, tandis que la Chine pourrait entrer dans la seconde transition alimentaire. Au total, en 2030, 56 % de la population mondiale devrait être dans cette première transition avec une consommation de protéines encore majoritairement végétales.

La seconde transition alimentaire se caractérise, quant à elle, par une stagnation de la quantité de protéines consommées suivie de deux évolutions possibles : (1) une baisse de cette consommation avec une réduction de la consommation de protéines animales, malgré une augmentation de celle de protéines végétales (c’est la transition dite « française »), (2) un accroissement de la consommation de protéines avec une hausse de celle des protéines végétales et une stabilité de celle des protéines animales (c’est la transition dite « américaine »). On devrait ainsi observer une baisse de la consommation de viande en Europe entre 2010 et 2030, de l’ordre de 2 %. Cette baisse serait d’ailleurs encore plus prononcée en Europe occidentale. Pour Luc Ozanne, le passage de certains PED à une seconde transition alimentaire pourrait cependant être plus rapide que ce que l’on a connu en Europe occidentale car celle-ci devrait même s’avérer nécessaire pour des raisons sanitaires (compte tenu de l’accroissement très rapide du surpoids et de l’obésité de la population de certains pays émergents) et environnementales.

D’immenses besoins protéiques à satisfaire

Alors comment parvenir à nourrir en protéines à l’horizon 2030 une population plus nombreuse et qui consomme davantage de protéines animales ? Produire plus de protéines implique en premier lieu d’accroître les terres arables. Selon Luc Ozanne, ces terres croîtraient de 3,4 % entre 2010 et 2030, mais avec une évolution très différenciées selon les régions : baisse prévisible en Europe et en Amérique du Nord, accroissement en Amérique latine et en Afrique subsaharienne qui disposent d’importantes réserves potentielles de terres non exploitées, ce qui n’est pas le cas pour l’Asie.

Produire plus implique aussi de limiter les gaspillages de récoltes et surtout de poursuivre l’amélioration des rendements. On est ainsi passé de 2,3 personnes nourries par hectare cultivé en 1960 à 4,5 personnes en 2010. Les projections pour 2030 fournies par Luc Ozanne indiquent que l’on pourrait passer à 5,3 personnes par ha cultivé. Cet accroissement des rendements pourrait néanmoins être limité par les effets négatifs du changement climatique. A ce propos, Luc Ozanne affirme que 50 % des études scientifiques prévoient un effet négatif du changement climatique sur les rendements à l’horizon 2030, et 50 % un effet positif. En revanche, à l’horizon 2050, on est plutôt dans un rapport 80-20.

En définitive, on devrait parvenir à satisfaire la demande en protéines à l’échelle mondiale à l’horizon 2030, mais avec des disparités accentuées selon les régions. Les déficits entre consommation et production de protéines devraient ainsi s’accroître en Afrique, en Asie et en Afrique du Nord-Moyen-Orient. Par ailleurs, il devrait y avoir de plus en plus de difficultés à satisfaire une demande en produits animaux en raison d’un déficit en tourteaux d’oléagineux, qui devrait avoir des répercussions sur la production de viande et donc sur son prix. La demande mondiale de tourteaux progresserait de 53 % entre 2010 et 2030. A cet horizon, la demande dépasserait l’offre de 15 %. Cela a d’ailleurs conduit plusieurs institutions à revoir à la baisse leurs perspectives de production de viande dans les décennies à venir.

Un marché très prometteur

Le marché des protéines apparaît par conséquent extrêmement prometteur. Christian Couilleau, le directeur général du groupe Even, estime ainsi qu’il est très positif d’être certain d’avoir un marché dans les décennies à venir, ce que beaucoup d’autres secteurs d’activités aimeraient avoir.

Si l’on effectue une synthèse des différentes interventions, on peut distinguer trois types d’opportunités. La première, la plus évidente, est celle du marché des pays émergents se situant dans la première transition nutritionnelle, « ceux qui ont faim », selon l’expression d’Anne Lacoste (Cooperl), et plus précisément qui ont « faim de viande » (Jean-Paul Simier).

Le second type d’opportunités correspond à un certain nombre de marchés spécifiques de protéines dans les pays développés, comme dans les pays émergents. Dans ce cas-là, l’offre doit chercher à répondre à des besoins nutritionnels spécifiques. Christian Couilleau a identifié trois de ces besoins : (1) le marché infantile dans le monde et notamment en Afrique, (2) le marché de ce qu’il appelle les « moments spéciaux de la vie » : personnes souffrant de maladies graves comme les cancers, gériatrie alors qu’un très grand nombre de personnes âgées souffrent de dénutrition lorsqu’elles sont en maison de retraite, et (3) le marché des sportifs. Chacune de ces catégories a des besoins nutritionnels propres auxquels le marché se doit de répondre. Christophe Couilleau y rajoute également un marché lié aux tendances à la mode, comme c’est le cas aujourd’hui du marché des « sans » (gluten, lactose, etc.).

Le troisième type d’opportunités consiste à tenter de répondre aux besoins en protéines des pays développés, de « ceux qui ont le choix » selon l’expression d’Anne Lacoste, qu’il convient, selon elle, de rassurer et de séduire. Dans un contexte où les populations des pays riches, comme la France, tendent à consommer moins de viande, mais aussi davantage de protéines végétales, et sont tentées pour une partie d’entre elles par le fléxitarisme – elles décident de manger moins de viande, sans être pour autant végétariennes car elles aiment la viande –, il existe certainement des opportunités dans le développement des protéines alternatives (micro-algues, champignons, insectes) ou encore des produits de substitution à la viande.

Céline Laisney a, en effet, souligné à quel point les substituts à la viande deviennent de plus en plus sophistiqués et se rapprochent de la viande. Ce fut, dans un premier temps, le tofu, puis les steaks végétaux pour en arriver aujourd’hui aux steaks à base de protéines végétales structurées qui ont une saveur et une texture de plus en plus proches de celles de la viande. Ces derniers sont notamment développés par des start-ups aux Etats-Unis. Mais des industriels de la viande plus classiques semblent s’y mettre également dans certains pays. C’est le cas en Allemagne où des industriels comme Wiesenhof commercialisent désormais des produits pour végétariens, par exemple une mortadelle et une saucisse, la célèbre Wurst allemande. On observe d’ailleurs une évolution similaire pour les produits laitiers avec des laits végétaux.

La difficulté d’anticiper l’avenir

Au final, les interventions étaient toutes de qualité et intéressantes, mais ce type de colloque tend à montrer toute la difficulté à pouvoir se projeter dans l’avenir, en l’occurrence à l’horizon 2030.

La tentation est, en effet, grande d’analyser la situation présente et le passé récent pour tenter d’identifier par extrapolation ce que peuvent être les évolutions de demain. C’est ce qu’ont fait certains intervenants avec le risque de sous-estimer les « chocs » ou les « ruptures » qui sont susceptibles de se produire d’ici là, que ceux-ci soient positifs (innovations technologiques, nouveaux acteurs « disruptifs » sur un marché) ou négatifs (catastrophe sanitaire, crise de confiance des consommateurs, crise économique, hausse brutale du prix des matières premières ou des denrées alimentaires, conflits, pandémies, etc.). A la fin des années 1990, lorsque l’on envisageait l’avenir dans le secteur de la téléphonie mobile, bien peu d’experts auraient pu imaginer, par exemple, l’avènement des smarphones qui ont tout changé dans ce secteur au point que le géant de l’époque, Nokia, qui n’a rien vu venir, a disparu aujourd’hui.

Une autre approche consiste à tenter d’identifier des « signaux faibles » ou des « faits porteurs d’avenir ». C’est également l’approche qui a été privilégiée par certains intervenants. Mais, en l’occurrence, il n’est pas toujours facile de les distinguer des « tendances à la mode », de fait éphémères. Le cas des régimes « sans » est assez symptomatique de ce point de vue : est-ce une simple mode sans lendemain ou bien une tendance émergente ? Il en est de même pour la consommation de micro-algues ou a fortiori d’insectes.

Enfin, une dernière approche consiste à s’appuyer sur un certain nombre de tendances lourdes, comme l’évolution démographique, les transitions nutritionnelles dans les pays émergents ou le changement climatique, pour tenter d’anticiper les grands enjeux futurs. C’est celle qui a été suivie par quelques intervenants, tels que Luc Ozanne, et c’est certainement celle qui permet le mieux d’appréhender ce que le monde de demain nous réserve : une demande croissante en protéines.
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Source : wikiagri.fr, Fougier Eddy, 11/12/2015

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