jeudi 28 janvier 2016

Demain, qu’y aura-t-il dans nos assiettes ?

Profitez des steaks tant qu’il est encore temps. Notre planète ne disposera probablement pas des ressources nécessaires aux besoins en viande pour 9,5 Mds d’êtres humains en 2050... Daniel Tomé, professeur à Agrotech, sera ce samedi à Saint-Cloud pour une passionnante conférence sur l’alimentation de demain, donnée dans le cadre de La Science se livre, qui ouvre aujourd’hui dans les Hauts-de-Seine.

Pas d’insectes dans nos assiettes. Selon le chercheur, le modèle manque de rentabilité. Il faudrait, pour obtenir 1 kg de protéines d’insectes, 2 kg pour les nourrir. « Il y a également beaucoup de carapaces, coquilles et autres éléments dont on ne sait pas quoi faire », explique le chercheur.

Davantage de pois et d’algues. Pour pallier aux besoins en protéines, qui poussent l’homme à consommer de la viande, il privilégie plutôt un régime alimentaire plus riche en légumes protéinés : pois, soja, haricots, fèves voire algues. « On remplace ainsi les cultures de soja ou de maïs destinées à nourrir les bêtes par de l’agriculture pour l’homme », détaille Daniel Tomé. En outre, les espaces sous-marins, encore peu exploités, serviraient à faire pousser les algues.

Une cuisine à la levure de protéines. Là encore, les besoins en protéines pourraient être épanchés par des bouillons de protéines que l’on plongerait dans la soupe, ou avec lesquels on saupoudrerait les gâteaux.

Et la viande artificielle ? « Pourquoi pas », répond le chercheur, même s’il reste dubitatif. « Les recherches sont encore très loin de ce résultat, mais il faudrait que l’on parvienne à imiter le goût de la viande et de sa texture, composée de fibres qui en se délitant dégagent le goût. C’est très difficile à reconstituer ».
---
Source : Leparisien.fr, JV, 22/01/2016

lundi 25 janvier 2016

La Finlande vise une augmentation de 40% de sa production locale de protéines d’ici à 2030

ScenoProt, un projet transversal rassemblant des experts de la prospective, du marketing et de la R&D, voudrait augmenter l’autosuffisance en protéines de la Finlance d’au moins 40% dans les 15 prochaines années. Les constats de départ sont sévères : non seulement le système actuel de production de protéines n’est pas durable, mais le régime essentiellement carné de la population est nocif pour la santé et de surcroît l’auto-suffisance en protéines est inférieure à 20% aujourd’hui dans le pays, contre 30% dans l’ensemble de l’Europe.

ScenoProt voudrait faire passer ce taux à 60% en Finlande, avec un projet-pilote dont le reste de l’Europe pourrait s’inspirer : pour cela, un budget de 8 millions d’euros, piloté par le Natural Resources Institute de Finlande, devrait être mobilisé afin de développer dans les linéaires de magasins d’alimentation et dans les régimes quotidiens des protéines locales issues de sources alternatives comme les insectes, les champignons ou d’autres végétaux… L’enjeu est multiple, selon les initiateurs du projet : avant tout, il s'agit de faire en sorte qu’en 2030 les consommateurs aient accès à des rations suffisantes de protéines aussi variées que délicieuses, nutritives et produites durablement. Concrètement l’augmentation de la production locale de protéines à partir de sources alternatives devrait être bénéfique pour la santé, la sécurité alimentaire mais aussi pour lutter contre le changement climatique.

Rappelons que même pour du bœuf est élevé en Europe, la protéine de soja utilisée dans l’alimentation animale vient souvent d’ailleurs, et que la culture du soja est une cause majeure de déforestation en Amazonie et un facteur-clef de réchauffement climatique (le soja est utilisé à 75% pour l’alimentation animale et 93% du soja consommé en Europe l’est indirectement via l’alimentation animale). Aujourd’hui l’Europe importe plus de 35 millions de tonnes de soja chaque année, ce qui représente 70% des protéines nécessaires au bétail.
---
Source : www.mescoursespourlaplanete.com, 18/01/2016

vendredi 22 janvier 2016

Ninaqua est un projet et un pari sur l'avenir

Le Gouessant se lance dans un projet aquacole d'envergure et innovant. Il vise à remplacer les matières premières issues de farine et huiles de poissons par de nouveaux ingrédients.

Le site aquaculture est basé à Saint-Aaron et est dédié à la fabrication d'aliment aquacole. L'activité mise de plus en plus sur l'exportation. L'aquaculture représente la moitié de la production d'aliment totale. Le Gouessant fabrique 30 000 tonnes de produits aquacoles par an, ce qui en fait l'un des leaders en France.

Un projet innovant...

Le Gouessant innove avec son projet Ninaqua. « Le développement durable fait partie de notre logique », assure Pierre-Samuel Camus, le directeur Aquaculture. Avec un budget de 5,5 millions d'euros, et la participation de partenaires comme Ifremer, l'Institut Pasteur, l'Inra... l'objectif est « d'en finir avec les farines et les huiles de poisson pour nourrir les fermes aquacoles », explique-t-il. L'intérêt de ce pari est local, régional, national et finalement mondial. « Nous devons nous affranchir totalement des farines et huiles de poisson. Ce n'est pas durable car la population mondiale grandit. »

... et labellisé

Le projet Ninaqua a été labellisé par cinq pôles de compétitivité français : Pôle Mer Bretagne, Aquimer, Pôle Mer Méditerranée, Agri Sud-Ouest Innovation et Hydreos. Il a donc été sélectionné comme « projet innovant » dans le cadre du dernier appel à projets du Fonds unique interministériel (FUI). Le budget de ce programme s'élève à 5,5 millions d'euros. Il sera partiellement financé par la Banque publique d'investissement (BPI).

De l'exigence bio

« Le bio prend une réelle ampleur, note le directeur. Le cahier des charges est très exigeant et nécessite beaucoup de rigueur. Mais, nous avons un réel savoir-faire. Nous aussi, nous voulons apporter notre contribution à cet enjeu considérable. » Le remplacement des matières premières classiques se fera par des ressources comme les micro-algues, les protéines végétales comme le soja, ou encore des ingrédients issus de levure ou d'insectes (hydrolysât qui est une décomposition chimique par l'action de l'eau).

La recherche

« Ces nouvelles farines devront être efficaces pour la croissance du poisson, ne pas nuire au goût, et faire en sorte que les élevages aquacoles restent rentables, commente le directeur. La profession est demandeuse d'innovations. » Des mesures d'impact, liées à ce changement d'alimentation, seront faites sur les truites et les bars. Plus tard, d'autres tests seront lancés dans des fermes aquacoles sélectionnées, en conditions réelles.

Un pari sur l'avenir

Ce pari lancé voilà environ deux ans est dans une phase concrète de démarrage. Dans quatre ans, durée du projet, la cinquantaine d'acteurs de Recherche et développement aura trouvé un produit de substitution. « Nous avons bon espoir de finaliser ces recherches. Les ressources marines ne sont pas inépuisables. Nous devons les préserver. »
---
Source : ouest-france.fr, 20/01/2016

jeudi 21 janvier 2016

Une "ruche de table" financée avec succès sur Kickstarter

Deux inventrices autrichiennes vont commercialiser une nouvelle version de leur incubateur à vers de farine. Une source de protéines à cultiver à domicile.

En juillet 2013, nous vous avions présenté cette audacieuse création de deux inventrices Autrichiennes : Katharina Unger et Julia Kaisinger. Leur idée est venue d'un constat alarmant. "D'ici 2050, la production de viande devra augmenter de 50%, pour satisfaire les besoins d'une population mondiale toujours en croissance" chiffrait Katharina Unger une designer autrichienne, sur son site Internet. En effet, selon la FAO (l'organisation mondiale pour l'alimentation), nous serons plus de 9 milliards de bouches humaines à nourrir d'ici 2030. Mais comment alimenter tout le monde sans avoir recours à la production animale intensive, génératrice de pollution et très consommatrice d'eau ? Les deux jeunes femmes se sont donc tournées vers les insectes qui représentent une source de protéines facile à cultiver et bien plus rentable sur le plan énergétique. En effet, 10 kilos de matière nutritive sont nécessaires pour produire un kilo de bœuf. Alors que pour produire la même quantité d'insectes, il ne faudra que 2,2 kilos de nourriture. Et non seulement cette quantité de nourriture est moindre, mais en plus elle est constituée de déchets organiques produits par le foyer (restes de fruits et de légumes, épluchures...), ce qui contribue également à réduire le volume des poubelles d'un foyer, à l'image des lombricomposteurs. Les deux inventrices se sont donc attelées à la tâche de développer un appareil qui permette facilement d'élever des vers de farine chez soi, dans un espace réduit. Après plusieurs prototypes, c'est finalement un modèle sous forme de tiroirs superposés qui a été proposé aux internautes sur la plateforme de financement participatif Kickstarter.

La structure peut produire, d'après ses inventeurs, jusqu'à 500 grammes de vers de farine par semaine, destinés à être consommés frits ou réduits en farine. Les vers sont introduits sous forme de larves dans le haut de l'appareil, où ils grandissent et se reproduisent. Une fois atteinte la taille de 3 cm, ils tombent automatiquement dans un tiroir où ils sont "récoltés". "Vous les passez alors au congélateur et vous pouvez les consommer comme n'importe quelle autre viande, cuits, frits, en burger ou dans une sauce pour les pâtes", explique Katharina Unger.

Les deux inventrices et leur équipe se sont installées en Chine pour y superviser la fabrication de leur produit. La campagne Kickstarter leur a permis de lever plus de 145.000 dollars en prévendant de nombreux appareils, au prix de (tout de même) 449 dollars. Les premières livraisons sont prévues pour novembre 2016.

Encouragée par la FAO, l'agence des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, qui y voit une contribution à la sécurité alimentaire mondiale, la consommation d'insectes est quotidiennement pratiquée par plus de 2 milliards d'humains, notamment en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud. En Europe, les insectes étaient également appréciés durant l'Antiquité par les Romains et par les Grecs, notamment Aristote qui confia dans ses écrits raffoler de larves de cigales. Tombée dans la confidentialité en Occident, l'entomophagie (la consommation d'insectes) gagne à nouveau du terrain en Europe et en Amérique du Nord avec quelques épiceries et restaurants branchés proposant vers séchés, crickets grillés et autres scorpions frits.

Un goût de noix ou de champignon

L'intérêt écologique et nutritionnel des insectes n'a pas échappé à la FAO, qui dans un rapport publié en 2013 avait souligné "l'énorme potentiel" alimentaire représenté par les insectes, non seulement pour les humains, mais aussi, potentiellement, pour le bétail. Reste toutefois, pour beaucoup de néophytes, à surmonter son aversion face à l'idée d'élever une masse grouillante de vers bruns et dodus... et de les manger. "La première étape, c'est d'oublier que l'on mange un insecte. Ensuite, on se rend compte que ce n'est pas si mauvais", confie la critique gastronomique Alexandra Palla, dont le blog est très suivi en Autriche. Verdict de l'experte, rencontrée par l'AFP lors d'une dégustation de salade grecque aux vers, de boulettes de viande aux vers et de gâteau au chocolat (et aux vers) organisée par la start-up à Vienne : le goût n'est "pas très spectaculaire" et relève de "la noix, ou du champignon". Julia Kaisinger en est convaincue : "A l'avenir, tout le monde ou presque mangera des insectes." D'ores et déjà, assure-t-elle, "les gens consomment un demi-kilo d'insectes par an sans le savoir, que ce soit sous forme de traces dans le chocolat, ou dans les jus de fruit". Sans compter les aficionados de la mimolette française ou du cazu marsu sarde, fromages traditionnels farcis d'acariens pour l'un et de vers pour l'autre...
---
Source : Erwan Lecomte, sciencesetavenir.fr, 20/01/2016

mercredi 13 janvier 2016

Si la France disait "stop à la malbouffe"?

Trop de protéines animales, de calories vides ont conduit à une pandémie d'obésité et de diabète. On peut sortir de ce modèle, assure le nutritionniste.

Les nations riches occidentales ont toutes adopté le même type d'alimentation : riche en protéines animales, en calories vides faites de sucres et de graisses ajoutés, en nourritures industrielles faciles à consommer. Après un demi-siècle de « transition alimentaire », le temps serait enfin venu de nous interroger sur la manière de mieux gérer la chaîne alimentaire et de bien se nourrir. Il y a urgence, ce système alimentaire a provoqué une épidémie d'obésité et de diabète chez les sujets les plus fragiles et abouti à une longévité en bonne santé fort médiocre. L'agriculture souffre et pollue. Pour générer une nourriture abondante et peu chère, elle doit fournir des denrées à très bas prix, souvent inférieur au prix de revient. Pour survivre, les agriculteurs ont dû intensifier leur production et sont devenus dépendants de subventions directes ou indirectes, mais leur nombre n'en finit pas de diminuer. Pourquoi ne pas changer de système, adopter des modes alimentaires plus durables et développer une authentique « agroécologie ».

Une chaîne alimentaire peu durable !

Même s'il a généré de l'abondance, le bilan social, sanitaire, écologique du système alimentaire occidental n'est pas bon, mais nous avons du mal à le remettre en question. La pandémie d'obésité n'a pas suffi à le déstabiliser, ni le désespoir des agriculteurs, ni la perte de nos racines culturelles, ni les atteintes au respect du vivant dans la conduite des élevages industriels. À l'heure de la COP21, c'est peut-être le bilan écologique calamiteux qui pourrait faire bouger les lignes et nous conduire à remettre en question notre mode alimentaire occidental.

Face à des signaux climatiques alarmants, une prise de conscience écologique est née et tous les pays se sentent désormais concernés, même s'ils affichent des degrés de responsabilité et d'engagement différents. Une sensibilisation de même nature n'a pas été conduite sur la fragilité et la durabilité de notre chaîne alimentaire. Les politiques, qui craignent d'affronter les lobbies, se gardent bien d'évoquer cette question, et continuent d'émettre des vœux pieux sur la continuation du modèle alimentaire à la française. Pourtant, comment pourrions-nous maîtriser les questions écologiques sans remettre en question notre manière de nous alimenter, sachant que les modes d'agriculture et d'élevage ont un impact majeur sur l'environnement. De la même façon, est-il raisonnable de continuer à gérer séparément les questions de santé et le suivi de la chaîne alimentaire, alors qu'une offre alimentaire inadaptée est la principale cause de nombreuses maladies chroniques ?

Les carburants mieux contrôlés que les aliments !

Pour améliorer l'état nutritionnel de l'ensemble de la population et nous appuyer sur une agriculture écologique, nous aurions besoin d'une prise de position politique sur l'évolution de l'alimentation, au même titre que la transition énergétique. En voici les grandes lignes.

Le système alimentaire de type occidental n'est plus tenable parce qu'il repose sur une consommation beaucoup trop élevée de produits animaux, et de produits transformés riches en calories vides (sucres, gras, amidon ajoutés). L'abus des calories d'origine animale n'est pas bon pour la santé humaine et particulièrement coûteux pour l'environnement. De même qu'il faut réduire les émissions de CO2 inutiles, ces excès et ces déséquilibres caloriques doivent être corrigés par tous les intervenants de la chaîne alimentaire. Il revient en premier à l'agriculture d'assurer une offre avec moins de productions animales et davantage de productions végétales les plus diversifiées possible, et de développer une agroécologie nouvelle sur ces bases.

Il faudrait également remettre en question les pratiques du secteur agroalimentaire. Ce dernier a parfaitement maîtrisé les objectifs de sécurité microbiologique, mais continue toujours à abuser des calories vides et à produire trop d'aliments sans intérêt nutritionnel. Vu l'abondance de la malbouffe, il est clair que la qualité des carburants pour nos véhicules est mieux contrôlée que le contenu nutritionnel des aliments transformés par l'industrie. La société tout entière peut faire pression pour que cela cesse.

Exemplarité

Un objectif de réduction de moitié en 20-30 ans de la consommation de calories d'origine animale serait demandé aux filières et aux consommateurs. Puisque nous partons d'un niveau de consommation élevée (le tiers des calories totales), une telle baisse serait compatible avec notre art de manger. En libérant à long terme, près de 30 à 40 % des surfaces agricoles, la baisse de consommation de produits animaux permettrait de conduire les élevages et l'agriculture de manière plus écologique et de diminuer d'autant les émissions de gaz à effet de serre. Ce serait également la seule façon d'assurer la sécurité alimentaire pour une humanité plus nombreuse. Un meilleur usage des aliments de base (produits céréaliers, légumes secs, autres féculents, fruits et légumes) permettrait enfin de disposer d'une offre alimentaire optimale pour la santé.

Qu'un pays tel que la France dise stop à la malbouffe en taxant les calories vides et en faisant pression sur le secteur agroalimentaire pour qu'il produise des aliments de meilleure qualité nutritionnelle, affichant ainsi clairement la fin d'un modèle de surconsommation de produits animaux, aurait une valeur d'exemplarité au niveau international. Et que ce soit la France, riche de ses terroirs et de son patrimoine culinaire, reconnue par l'Unesco pour son art de manger à table, qui ait pris cette initiative aurait un effet d'entraînement considérable. Même s'il faisait l'objet de nombreuses résistances, un tel message finirait par être largement approuvé.

Long terme

Que l'on ne nous objecte pas à ce propos des arguments économiques, cette chaîne alimentaire adaptée à l'homme et à la nature pourrait dégager la même valeur marchande. Même si ces évolutions sont par nature de long terme, l'essentiel est que le cap soit clairement fixé. Ce changement de paysage alimentaire, inspiré du modèle méditerranéen, mais avec des caractéristiques plus universelles, permettrait de diminuer nettement les dépenses de santé qui ont atteint des niveaux difficilement supportables.

Nous devons en finir avec l'immobilisme et le silence actuels. Que la nécessité et la possibilité de sortir du système alimentaire de type occidental soient discutées, que les partis politiques se prononcent sur ce sujet, que des rencontres citoyennes en débattent. Mais de grâce, à l'ère du réchauffement climatique et de la pandémie d'obésité, la politique alimentaire ne doit plus faire perdurer un modèle existant si peu durable !
---
Source : Par Christian Rémésy, Nutritionniste et directeur de recherche Inra, lepoint.fr, 13/12/2015

mardi 12 janvier 2016

L'utopie de l'alimentation durable sans production animale.

Les productions animales sont la cible de critiques provenant d'horizons et de milieux divers. Basées sur des convictions louables de protection de l'environnement, ces critiques prônent une alimentation basée exclusivement sur des productions végétales. Elles font l'impasse sur une réalité beaucoup plus complexe et ont en commun de mener à une vision étriquée des équilibres écologiques.

Une idée récurrente part du principe que les animaux d'élevage consomment plus de protéines végétales qu'ils n'en restituent sous forme de protéines animales. Conforté par une analyse restreinte de la problématique des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES), ce raisonnement aboutit alors à cette conclusion que l'alimentation animale est une aberration. Il serait ainsi plus efficace de destiner les protéines végétales directement à l'alimentation humaine.

Une partie des protéines végétales consommées par les animaux d'élevage ne sont en fait pas consommables directement par l'homme. Ainsi les ruminants sont capables de convertir des matières cellulosiques et protéines des fourrages indigestibles pour nous, en protéines de haute valeur nutritionnelle. Ces fourrages représentent 70 % ou plus de leur ration, le reste étant composé d'aliments concentrés supplémentaires, dont des protéines végétales qui pourraient être destinées à l'alimentation humaine. Pour 1 kg de ces protéines végétales, une vache laitière produit entre 0,8 et plus de 2 kg de protéines. Le rapport est donc bénéfique. Il peut même être supérieur à 5 dans les systèmes de production très herbagers comme en Irlande ou en Nouvelle Zélande, et supérieur à 10 dans les milieux très difficiles des Suds selon la FAO. Les bovins de ces milieux sont des convertisseurs très efficients de fourrages locaux très riches en fibres et pauvres en protéines. Enfin, pour une grande partie ces fourrages sont produits à partir de prairies et de terres difficilement convertibles à la production de cultures vivrières.

L'élevage ne se résume pas à sa seule fonction de production. Le système de "polyculture-élevage", basé sur le recyclage des nutriments et biomasses entre cultures et production animale, est l'exemple même d'une agriculture agro-écologique. Si certaines formes d'élevage ont pu causer des nuisances dans certains territoires, cela ne doit surtout pas occulter l'apport essentiel de l'élevage à la santé des sols, à la diversité des paysages et à la vitalité des campagnes.

Les sols des prairies où pâturent les animaux d'élevage sont, comme les sols forestiers, remarquablement plus riches en biomasse et en diversité microbiologique et faunique que les sols des cultures, même lorsque ceux-ci sont labourés moins fréquemment. Les déjections des animaux assurent en effet un retour de la matière organique aux sols et permettent par exemple aux flores aérobies comme les champignons de la surface des sols de trouver un bon équilibre carbone/azote pour transformer les résidus des cultures en humus et en formes de carbone stable. Cette richesse en matière organique constitue aussi un puits de carbone. Les sols des prairies exploitées par les ruminants stockent ainsi 570 kg de carbone par hectare et par an. De plus, ils subissent des pertes par érosion 20 fois plus faibles que ceux des cultures annuelles. Ils contribuent aussi par leur texture à une bonne filtration des eaux de surface, à la limitation des pertes par ruissellement et à la recharge des nappes phréatiques. En France, ces zones d'élevage basé sur la prairie valorisent 45 % de la Surface Agricole Utile... Dans les zones sub-tropicales, notamment semi-arides, de récentes études montrent que l'exploitation par l'élevage pastoral des vastes zones de parcours impropres à l'agriculture a un bilan global de gaz à effet de serre favorable. Ceci s'explique grâce au stockage de carbone dans ces écosystèmes et par des émissions de GES qui avaient été surestimées dans les premiers calculs.

Face à une demande mondiale en produits carnés et laitiers en fort accroissement il est certain que le secteur de l'élevage a des challenges à relever et doit progresser dans ses pratiques. Pour autant la substitution des productions animales par les productions végétales ne s'accompagnera pas, loin s'en faut, des effets positifs escomptés. Nous avons pu déjà en faire le constat par le passé. Au début du 19ème siècle la disparition de l'élevage et de ses fonctions a été le 1er changement majeur qui a conduit à la désertification des terres. 1 milliard d'hectares de terres arables, soit la surface des Etats Unis, ont ainsi disparu dans le monde. Dans un autre registre, entre 1971 et 2010, la préconisation des autorités de santé américaine de réduire la graisse animale dans les régimes alimentaires a conduit à une augmentation du sucre dans l'alimentation. La prévalence de l'obésité est ainsi passée de 14,5 % à 30,9 % sur cette même période, et en 2012 les diabètes de type 2 touchaient un américain sur dix. La recommandation a été aujourd'hui purement et simplement supprimée... Quant à l'empreinte carbone des régimes moins riches en viande, l'expertise scientifique collective Dualine conduite par l'INRA a montré qu'elle n'est pas nécessairement plus faible que celle des régimes classiques, car à apport énergétique égal, il faut consommer de plus grandes quantités d'aliments.

L'opposition entre production animale et production végétale est une fausse bonne idée. Stigmatiser le secteur élevage pour son apparent mauvais rendement énergétique et ses émissions de méthane est une erreur, et c'est aussi stigmatiser l'environnement et les sociétés basées sur ces activités d'élevage, dont 1 milliard de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté en dépendent dans le monde (FAO).
---
Source : Jean-Louis Peyraud, Alexandre Ickowicz, huffingtonpost.fr, 04/04/2016

lundi 11 janvier 2016

2016, année de la lentille : "c'est bien gentil, mais il n'y a rien derrière"

L'ONU a désigné 2016 Année internationale des légumineuses. Alors qu'est-ce que cela va changer pour la lentille verte du Puy, qui est justement un produit qui s'inscrit complètement dans l'axe du développement durable et de la COP 21 ?

"Les légumineuses peuvent contribuer de manière significative à la sécurité alimentaire et à la santé humaine, ainsi qu'à la lutte contre la faim, la malnutrition et les défis environnementaux". Le message est signé Ban Ki-Moon, secrétaire général de l'ONU.
L'assemblée générale des Nations Unies a en effet proclamé 2016 Année internationale des légumineuses (dont la lentille verte du Puy fait partie). Celles-ci constituent une source bon marché, de protéines et de micronutriments essentiels et aux effets bénéfiques sur la santé et les moyens d’existence, en particulier dans les pays en développement.

L'objectif est de sensibiliser sur les nombreux avantages que représentent ce type de plante, d’en stimuler la production et le commerce et d’en encourager de nouvelles utilisations intelligentes le long de la chaîne alimentaire.

Les protéines procurées par le lait sont cinq fois plus chères que les protéines des légumineuses

Cultures vivrières importantes pour la sécurité alimentaire de vastes tranches de populations, en particulier en Amérique latine, en Afrique et en Asie, elles font partie de l’alimentation traditionnelle et sont souvent cultivées par les petits agriculteurs. Les légumineuses constituent un ingrédient essentiel dans un grand nombre de plats nationaux ou régionaux. On trouve des centaines de variétés de légumineuses cultivées à travers le monde.

Les légumineuses sont une alternative aux protéines animales qui sont en général hors de portée des populations pauvres. Ainsi les protéines procurées par le lait sont cinq fois plus chères que les protéines des légumineuses. Elles sont également riches en oligoéléments, acides aminés et vitamines B. Pauvres en gras et riches en nutriments et en fibres solubles, les légumineuses sont excellentes pour la gestion du cholestérol et de la digestion.

"Il n'y a aucun support financier ou de communication et ça ne se traduit pas dans les faits"

En cumulant plus de 10 000 emplois sur près de 90 communes du département, la lentille verte du Puy demeure l'un des moteurs de l'économie locale. Une telle promotion pour les légumes secs doit certainement être un bon coup de boost pour l'économie locale ? "L'ONU a décrété que c'était l'année des légumineuses, c'est bien gentil, mais il n'y a rien derrière", nous répond Huguette Trescarte, responsable communication de l'ODG (organisme de défense et de gestion) de la lentille verte du Puy, "il n'y a aucun support financier ou de communication et ça ne se traduit pas dans les faits, ni au niveau international, ni au niveau national, ni au niveau régional...".

La mesure est avant tout symbolique car les légumineuses s'inscrivent parfaitement dans la démarche de la COP 21 et du développement durable : "sur le plan environnemental, les légumes secs ne nécessitent pas d'engrais", précise Huguette Trescarte, "la lentille enrichit le sol pour l'année de sa culture et aussi pour l'année suivante, ce qui signifie qu'un agriculteur qui voudrait semer du blé après avoir semé de la lentille aura besoin de moins d'engrais".

"Largement bénéfique et à plusieurs titres à la bonne santé de la planète"

Sans mettre en opposition les protéines animales et végétales, la responsable communication de l'ODG de la lentille verte du Puy précise : "une consommation accrue de protéines végétales serait très largement bénéfique et à plusieurs titres à la bonne santé de la planète", que ce soit au niveau écologique, la gestion des déchets, la santé des personnes, etc.

Par le biais de la fédération nationale des légumes secs, une demande de subventions a été faite auprès du ministère mais aucune enveloppe n'a été allouée. "On voit que des budgets faramineux sont dépensés pour la COP 21 par exemple alors que c'est un légume qui rentre typiquement dans l'axe prôné, mais il n'y a aucune ressource financière, aucune action publique pour soutenir le mouvement", déplore-t-elle, alors qu'il y a plusieurs études "sérieuses" (non mandatées par les entreprises concernées) qui attestent des vertus des légumes secs en terme de santé et d'environnement.
---
Source : Maxime Pitavy, www.zoomdici.fr, 06/01/2016