jeudi 17 décembre 2015

Des produits à base d'insectes chez Bio-Planet (Belgique)

Bio-Planet propose désormais des produits à base de grillons, de sauterelles et de vers de Buffalo. Avec la Cricket Croquette et le Bug Balls, Colruyt Group suit entre autres Damhert, Carrefour et Delhaize sur le chemin des produits à base d'insectes.

L'an dernier, les insectes trouvaient leur chemin vers les supermarchés Belges. Damhert lançait Insecta, une gamme de burgers et de nuggets à base d'insectes (lauréat des INN'awards), tandis que les retailers Delhaize et Carrefour se lançaient eux aussi dans l'aventure. Une bonne année plus tard, c'est donc à Bio-Planet de faire le pas.

Trois références

L’assortiment de Bio-Planet comprend trois produits à base d’insectes. La Cricket Croquette, qui ressemble à une croquette de crevettes, se compose pourtant de grillons. Ceux-ci sont moulus en farine et goûtent légèrement la noix. Les Red Bug Balls contiennent pour leur part des sauterelles moulues, assaisonnées avec des betteraves rouges et des épices. Les Green Bug Balls sont fourrées de vers Buffalo entiers, mélangés avec des petits pois et des épices. Bio-Planet a développé la nouvelle offre avec David Creëlle, le premier « chef insecte » de Belgique.

Durable

Bio-Planet n’a pas décidé sur un coup de tête d’ajouter des produits à base d’insectes dans son assortiment. Le supermarché bio de Colruyt Group a d’abord sondé ses clients pour voir s’ils partageaient la même vision à propos des insectes en matière de durabilité, de valeur nutritive et de goût. Pieter Ceuleers, manager de division Bio Planet : «Tout d’abord, les insectes offrent une plus-value écologique. En comparaison avec la viande, la quantité de matières premières nécessaires pour cultiver les insectes est moindre et les émissions de CO2 sont également plus faibles. En outre, les insectes contribuent à une alimentation plus équilibrée. Ils regorgent de substances nutritives : glucides, protéines, vitamines, acides aminés... »
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Source : gondola.be, Carole Boelen, 08/12/2015

mardi 15 décembre 2015

Des insectes dans nos assiettes ?

Pour deux milliards d'humains, manger des insectes n'a rien d'exotique. Nourrissant et écologique, ce "minibétail" incarne-t-il le futur de nos repas ?

Sur une mousse de petits pois est plantée une poignée de brindilles brunâtres. Ces tortillons ridés sont en fait des vers de farine, ou Tenebrio molitor, des rampants qui se nichent d’habitude dans les placards de cuisine. Mais ceux-ci ne risquent plus de bouger : ils sont cuits, tout comme les grillons qui suivent au menu du restaurant niçois Aphrodite. L’établissement est l’un des très rares en France à proposer des insectes à sa carte. Incrustés dans un crémeux de maïs, pattes repliées, les orthoptères semblent défier les gourmands de leurs gros yeux noirs : «Oserez-vous m’avaler ?» Au final, les gastronomes les plus téméraires les croquent, découvrant sous leur palais des notes de fruits secs, de noisette et de pop-corn.

A l’origine de cette rencontre improbable entre gastronomie et entomologie, un chef étoilé, David Faure, mû par un désir d’innover et de provoquer. Son menu insectes, intitulé Alternative food, ne constitue qu’une petite partie de son chiffre d’affaires. Mais il ne laisse personne indifférent. «Certains adorent, mais d’autres ne veulent plus revenir depuis qu’il est à la carte. J’ai même reçu des lettres d’insultes et des menaces, déplore-t-il. Pour moi ça ne change rien, je suis convaincu que les insectes sont le futur de nos assiettes.» Propos d’un allumé des fourneaux ? Pas du tout, estiment les biologistes, entomologistes et industriels que nous avons rencontrés. Ni anecdotique ni nouvelle, l’entomophagie (la consommation d’insectes) a, au contraire, un bel avenir devant elle. Elle constitue même l’une des clés pour subvenir aux besoins en protéines du genre humain, et ce de façon écologique.

Les insectes vont-ils glisser une patte dans nos gamelles européennes ? La question serait plutôt quand et comment.

Dans son lumineux bureau parisien, face à un sachet entamé de sablés aux insectes, le biologiste, auteur d’ouvrages pédagogiques et documentariste Jean-Baptiste de Panafieu confirme le pronostic. «Pour l’heure, la consommation de ces petites bêtes est anecdotique, mais dans dix ans, il y en aura dans les croquettes de nos chats et de nos chiens. Et dans une petite vingtaine d’années, nous en mangerons régulièrement.» Le scientifique a publié récemment Les insectes nourriront-ils la planète? (éd. du Rouergue), un ouvrage qui fait tomber beaucoup d’a priori sur le sujet.

D’abord, l’entomophagie a une longue histoire, même en Europe. Nos ancêtres préhistoriques collectaient déjà des chenilles, des termites et de grosses larves afin de se rassasier. Dans l’Antiquité, les Grecs salivaient devant des plats de larves de cigales et le philosophe Aristote a vanté leur exquise saveur dans ses écrits. Quant aux Romains, ils se régalaient de vers de chêne. «Même si la Bible interdit de manger des bêtes rampantes, on a continué partout en Europe à manger des insectes jusqu’à aujourd’hui», poursuit Jean-Baptiste de Panafieu.

Même vous, lecteur, en avez déjà savouré ! «On estime en effet qu’un Européen absorbe chaque année, à son insu, 300 grammes de bestioles diverses, cachées dans les fruits, broyées dans les farines, les confitures… Sans compter le colorant rouge E120, extrait de la cochenille.» Dans le monde, c’est beaucoup plus, et au grand jour. Selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), les insectes font partie de la consommation de 2 milliards d’individus. Le taxonomiste hollandais Yde Jongema, du laboratoire d’entomologie de l’université de Wageningen, a établi une liste de 1 900 bestioles comestibles à travers le monde. «Certes, ils ne constituent parfois qu’un plat occasionnel, et, dans des sociétés qui se sont enrichies, la consommation de volaille et de poisson a tendance à s’y substituer, tempère Jean-Baptiste de Panafieu. Mais les insectes font partie intégrante de l’alimentation “normale” en dehors des frontières européennes.»

Et le phénomène va s’amplifier car la consommation d’insectes est une réponse à l’accroissement des besoins alimentaires. D’ici à 2050, la FAO estime que la planète devrait compter 9 milliards d’habitants, et que la demande en protéines animales pourrait doubler. «Si tous les humains adoptaient notre type de consommation occidental, dans quelques dizaines d’années l’ensemble des terres cultivées ne suffirait plus à l’élevage des volailles et des bovins», alerte Jean-Baptiste de Panafieu. Le «minibétail» permettrait de sortir de l’impasse. D’abord parce qu’il présente un profil nutritionnel presque parfait. Le taux en protéines des insectes peut atteindre 75 %, pourcentage bien supérieur à celui de la plupart des viandes, œufs et volailles. Ils contiennent aussi des acides gras bénéfiques (oméga-3 et oméga-6), des vitamines, des fibres, des minéraux, et sont dépourvus de cholestérol. D’autre part, ces animaux à sang froid ont un très bon taux de conversion alimentaire. Ainsi, il faut seulement deux kilos de nourriture pour produire un kilo d’insectes contre huit pour produire un kilo de bœuf, d’après la FAO.

Cerise sur le sablé ? Nourrissants, les insectes ont, en plus, le bon goût d’être écolos. Les chercheurs de l’université de Wageningen ont montré qu’ils généraient beaucoup moins de gaz polluants comme le méthane et l’oxyde de nitrate. Produire un kilo de vers de farine engendrerait l’émission de 10 à 100 fois moins de gaz à effet de serre qu’un kilo de porc.

Conséquence : des industriels ont compris l’intérêt de ces petites bêtes comestibles. A Saint-Orens-de-Gameville, aux portes de Toulouse, de discrets hangars de 650 mètres carrés accueillent l’une des plus grandes sociétés européennes de production d’insectes destinés à l’alimentation humaine (et la seule française), Micronutris. A l’intérieur, si l’on ferme les yeux, on se croirait dans un champ en Provence. Dans de grandes caisses, des dizaines de millions de grillons stridulent en frottant leurs élytres. Dans une pièce à part, des cagettes empilées contiennent un petit peuple blanchâtre et grouillant : des vers de farine, l’autre production de Micronutris. Au total, l’entreprise peut livrer chaque mois plus d’une tonne de bestioles à croquer. Dans un an, elle aura multiplié par dix sa capacité de production.

A la tête de cette entreprise créée en 2011, un trentenaire visionnaire, Cédric Auriol, convaincu du bel avenir de l’entomophagie. «Lorsque nous avons commencé, nous avons réalisé des études montrant que seuls 0,5 % des sondés en France avaient ingéré des insectes. Moins de quatre ans après, ce chiffre a été multiplié par dix !» Et ceux qui n’ont pas encore croqué d’insecte ne sont plus aussi méfiants. L’année dernière, un sondage réalisé par Micronutris a prouvé que 40 % des 5 000 personnes interviewées avaient un a priori positif sur les insectes comestibles.

Produire de l’insecte coûte encore cher : sept fois plus que les veaux, vaches, cochons…

Pour l’heure, l’entrepreneur vend surtout à des professionnels. Par exemple, le chef niçois David Faure ou le maître chocolatier de Mazamet, Guy Roux, qui pose, comme des bijoux, des orthoptères et des coléoptères colorés sur ses macarons ou ses bouchées au chocolat. Via Internet, sa société a déjà livré 20 000 particuliers. Sous la forme de biscuits au fromage, à l’oignon, au citron, au caramel ou «natures», déshydratés et aromatisés pour l’apéritif, les insectes commencent à trouver leur clientèle. Malgré des tarifs salés. Comptez 12,50 euros pour un sachet de 10 grammes (soit 1 250 euros le kilo, la moitié du prix du caviar !) ou 7,50 euros pour un paquet de sablés de 160 grammes. Ces tarifs se répercutent chez les restaurateurs. Il faut débourser 63 euros pour le menu insectes de David Faure. «Nos coûts de production sont encore colossaux, justifie Cédric Auriol. Aujourd’hui, ils sont sept fois supérieurs à ceux des “autres” viandes bio. Il y a encore beaucoup de manipulations humaines pour nourrir, abattre, conditionner nos produits.» L’enjeu pour Micronutris est donc d’automatiser son activité. Il y a deux ans, il fallait 60 heures de main-d’œuvre pour obtenir un kilo de vers de farine, aujourd’hui 20 heures suffisent, et la société mise sur 20 minutes prochainement. Pour établir ce business sans équivalent dans l’Hexagone et être bien placée lorsque le marché décollera, la société doit également investir lourdement en recherche et développement.

Elle n’est pas la seule. Bipro, une start-up créée par trois entomologistes angevins, Delphine Calas, Fabienne Dupuy et Olivier List, ambitionne de commercialiser des insectes jusque dans les grandes surfaces. Mais les trois associés savent qu’il faut commencer par les rendre acceptables… donc invisibles. Leur plan ? Les introduire dans des barres énergétiques, les vendre sous forme de farine, de plats préparés… «L’idée est de faire entrer progressivement leur consommation dans les mœurs, explique Fabienne Dupuy. La plupart des gens nous disent être d’accord pour ingérer ces petites bêtes s’ils ne les voient pas.» Mais pour l’heure, les chercheurs d’Angers n’ont pas ouvert d’élevage. «Nous attendons que la législation se mette en place», disent-ils.

C’est là le dernier et le plus sérieux frein à la production de ces croquantes créatures : un règlement européen du 15 mai 1997 «soumet tout nouvel aliment à autorisation communautaire avant mise sur le marché». Le texte ne mentionne pas spécifiquement les insectes. C’est pourtant sur lui que se sont appuyés, l’année dernière, des fonctionnaires de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) pour interdire à un restaurant cambodgien d’Amiens de vendre vers, grillons et scarabées. La Commission européenne devrait donner son feu vert, mais cet assouplissement législatif ne prendra pas effet avant 2016. En attendant, les pionniers de ces micro-aliments se font tout petits car leur business est seulement toléré. Sur un coup de zèle de l’administration, plus de grillon grillé, de macaron d’insecte ou de mousse de petits pois truffée de vers de farine. Dommage !
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Source : geo.fr, Léo Pajon, 10/12/2015

lundi 14 décembre 2015

Algama veut mettre des micro-algues dans nos assiettes

C’est l’histoire de trois amis d’enfance qui, leurs études terminées, décident de créer leur propre entreprise. "J’avais découvert les vertus des micro-algues pour des raisons médicales et Mathieu cherchait un projet de création d’entreprise pour sa dernière année aux Arts et métiers", explique Gaëtan Gohin, le cofondateur d’Algama. Avec Alvyn Severien, étudiant à Paris-Dauphine, et Mathieu Goncalves Alves, Gaëtan Gohin, alors étudiant à Centrale Paris, veut travailler sur la formulation d’ingrédients alimentaires à base de spiruline, une micro-algue à haute teneur en protéines et vitamines. "Grâce à un financement de nos écoles, nous avons développé un partenariat de recherche avec le CNRS", souligne-t-il.
L'opportunité : répondre à une demande croissante des consommateurs occidentaux pour des produits à base de protéines végétales se substituant aux protéines animales.
Algama - habile jeu de mots qui reprend la thématique des algues et le début de leurs prénoms - naît en novembre 2013. Springwave, une boisson antioxydante et revitalisante, est mise à l’étude. La ­start-up décroche 120 000 euros auprès des proches et 25 000 euros des business angels Xavier Niel, ­Jacques-Antoine Granjon et Marc Simoncini. La boisson, aujourd’hui distribuée dans les hôtels haut de gamme du groupe Accor, obtient deux prix de l’innovation au Salon international de l’alimentation en 2104.

Algama développe depuis peu des sauces à base d’une autre micro-algue, la chlorelle, que lui fournit le groupe français Roquette. Les recettes ont été concoctées dans le laboratoire du génopole d’Évry (Essonne), où la start-up est installée pour la partie technique. "Il s’agit de mayonnaise sans allergène, convenant aux végétariens, aux végétaliens et aux allergiques à l’œuf", souligne Gaëtan Gohin. Avec un chiffre d’affaires de 10 000 euros en 2015, la société attend beaucoup d’un accord avec une grande chaîne de distribution, pour atteindre 2 millions d’euros, en 2016…
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Source : usinenouvelle.com, Adrien Cahuzac, 12/11/2015

samedi 12 décembre 2015

Le marché des protéines s’annonce très prometteur à l'horizon 2030

Le marché des protéines s’annonce très prometteur dans les décennies à venir compte tenu de l’évolution démographique mondiale et surtout de la « faim de viande » d’une grande partie de la population des pays émergents.

Le pôle de compétitivité Valorial, qui se définit comme « le pôle de l’aliment de demain », organisait le 3 décembre dernier à Rennes un colloque sur le thème « Protéines 2030. Les demandes à saisir en France et dans le monde ». Son objectif n’était pas tant d’étudier de ce que l’on appelle de plus en plus communément les « protéines du futur », comme les micro-algues, les insectes ou les champignons, que les protéines plus traditionnelles, en particulier la viande, à l’horizon 2030. En clair, le futur des protéines, plutôt que les protéines du futur.

Pour cela, Valorial a réuni de nombreux experts particulièrement reconnus dans leur domaine de spécialisation, comme Anne Mottet, chargée de politiques d’élevage à la FAO, Nico Van Belzen, le directeur général de la Fédération internationale laitière, Yves Trégaro, de FranceAgriMer sur la viande, ou encore Céline Laisney, d’AlimAvenir sur les protéines alternatives (substituts de viande), que WikiAgri a d'ailleurs déjà eu l’occasion d’interviewer. Plus largement, on pouvait trouver parmi les intervenants à ce colloque des représentants d’institutions publiques (FAO, France Agri Mer, Bretagne Développement Innovation), d’organisations professionnelles (Fédération internationale laitière), de groupes coopératifs (Cooperl Arc Atlantique, Groupe Even) et industriels (Groupe Avril, Nutriset), mais aussi des chercheurs (INRA, Agrocampus Ouest) et des consultants (AlimAvenir, Nielsen). Un blog sur le site internet de Valorial est également dédié au colloque. On peut y retrouver des interviews de certains des intervenants. Enfin, ce colloque a été un succès puisqu'il a attiré pas moins de 230 participants.

Une demande croissante en protéines animales et végétales

Que doit-on retenir de ce colloque ? Ces dernières décennies, deux observations ont pu être faites dans le secteur des protéines. La première est un très net accroissement de la demande de protéines animales à l’échelle mondiale. Ainsi que l’affirme Jean-Paul Simier, le directeur Agriculture et agroalimentaire de Bretagne Développement Innovation (BDI), « la planète a faim de viande ». En 50 ans, la consommation de viande dans le monde a été ainsi multipliée par 4 pour atteindre 320 millions de tonnes : la consommation de volailles a même été multipliée par 8, celle de porcs par 3 à 4 et celles de ruminants (bovins et ovins) par 2. Deux données mentionnées durant le colloque tendent à donner la mesure de cette soif immense de viande dans certains pays : le prix du porc en Chine est actuellement supérieur au prix du porc en Europe et le cours de la queue de porc dans ce même pays atteint le niveau de celui de l’épaule…

Cette évolution a été néanmoins différenciée selon les régions. Cet accroissement de la demande en protéines animales a été prononcé dans les pays émergents et faible dans les pays développés. Cela se traduit notamment par une modification significative du marché international de la viande depuis quelques années. La volaille, que Jean-Paul Simier qualifie de « véritable viande planétaire du XXIe siècle », est ainsi appelée à devenir dans les années à venir la première viande produite dans le monde devant le porc. Il en est de même dans les échanges internationaux où la volaille fait désormais l’objet de davantage d’échanges que le bœuf, pourtant la viande la plus échangée durant une longue période.

Sur la base de ces constats, les questions-clefs posées par ce colloque étaient donc de savoir (1) si ces tendances sont susceptibles de se poursuivre d’ici à 2030, (2) si nous parviendrons à satisfaire ces besoins croissants en protéines, notamment animales, compte tenu des contraintes démographiques et climatiques et (3) comment réussir à saisir cette « superbe opportunité », selon l’expression d’Anne Lacoste, la responsable de la R&D chez Cooperl, que représente ce vaste marché qui s’offre aux producteurs et aux transformateurs.

Une demande toujours aussi forte d’ici 2030

D’après des données du cabinet de conseil BIPE, elles-mêmes la plupart du temps fondées sur des chiffres de la FAO, qui ont été divulguées par Luc Ozanne (groupe Avril) durant le colloque, la demande mondiale en protéines devrait croître de 40 % entre 2010 et 2030, avec une hausse de 33 % pour les protéines animales et de 43 % pour les protéines végétales. La croissance de la demande de protéines végétales devrait être en grande partie liée à la demande de l’Afrique subsaharienne et de l’Inde, et la croissance de la demande de protéines animales à celle de la Chine en particulier.

Ceci peut être expliqué par deux facteurs. Le premier est bien entendu la croissance de la population mondiale qui s’établirait à 8,4 milliards en 2030. Cela représente par conséquent un accroissement de 22 % de la demande alimentaire entre 2010 et 2030. Cette croissance démographique concernerait en premier lieu l’Asie du Sud et l’Afrique subsaharienne. L’un des symboles de cette croissance est qu’à partir de 2017, il devrait y avoir plus de naissances au Nigeria qu’en Chine. Or, ce sont aussi les régions où la consommation de viande est le plus appelée à se développer dans les décennies à venir, notamment en lien avec la transition nutritionnelle.

Le second facteur est, en effet, la transition nutritionnelle que l’on peut observer dans les pays du Sud et les pays émergents suite à l’enrichissement et à l’urbanisation que les populations de ces pays ont pu connaître ces dernières années. Ce phénomène est maintenant bien connu. Il s’agit du passage d’un régime alimentaire contenant une faible quantité de protéines à un régime riche en protéines. Mais il tend à évoluer en plusieurs étapes. Luc Ozanne parle à ce propos de deux transitions alimentaires.

Baisse de consommation de viande de 2 % en Europe entre 2010 et 2030

La première transition se caractérise par un accroissement de la consommation de protéines, avant d’aboutir à une stabilisation. Durant la phase d’augmentation de la consommation, on peut observer, dans un premier temps, une consommation plus importante de protéines végétales, puis dans un second temps, de protéines animales. Ensuite, durant la phase de stabilisation, les populations tendent à consommer davantage de protéines animales que végétales. L’Inde et l’Afrique subsaharienne se situeraient dans la phase d’accroissement de la quantité de protéines végétales consommées, tandis que la Chine et la région Afrique du Nord-Moyen-Orient sont dans la phase d’augmentation significative de la consommation de protéines animales. A l’horizon 2030, Luc Ozanne estime que l’Inde et l’Afrique subsaharienne seraient dans cette phase de plus importante consommation de viandes, tandis que la Chine pourrait entrer dans la seconde transition alimentaire. Au total, en 2030, 56 % de la population mondiale devrait être dans cette première transition avec une consommation de protéines encore majoritairement végétales.

La seconde transition alimentaire se caractérise, quant à elle, par une stagnation de la quantité de protéines consommées suivie de deux évolutions possibles : (1) une baisse de cette consommation avec une réduction de la consommation de protéines animales, malgré une augmentation de celle de protéines végétales (c’est la transition dite « française »), (2) un accroissement de la consommation de protéines avec une hausse de celle des protéines végétales et une stabilité de celle des protéines animales (c’est la transition dite « américaine »). On devrait ainsi observer une baisse de la consommation de viande en Europe entre 2010 et 2030, de l’ordre de 2 %. Cette baisse serait d’ailleurs encore plus prononcée en Europe occidentale. Pour Luc Ozanne, le passage de certains PED à une seconde transition alimentaire pourrait cependant être plus rapide que ce que l’on a connu en Europe occidentale car celle-ci devrait même s’avérer nécessaire pour des raisons sanitaires (compte tenu de l’accroissement très rapide du surpoids et de l’obésité de la population de certains pays émergents) et environnementales.

D’immenses besoins protéiques à satisfaire

Alors comment parvenir à nourrir en protéines à l’horizon 2030 une population plus nombreuse et qui consomme davantage de protéines animales ? Produire plus de protéines implique en premier lieu d’accroître les terres arables. Selon Luc Ozanne, ces terres croîtraient de 3,4 % entre 2010 et 2030, mais avec une évolution très différenciées selon les régions : baisse prévisible en Europe et en Amérique du Nord, accroissement en Amérique latine et en Afrique subsaharienne qui disposent d’importantes réserves potentielles de terres non exploitées, ce qui n’est pas le cas pour l’Asie.

Produire plus implique aussi de limiter les gaspillages de récoltes et surtout de poursuivre l’amélioration des rendements. On est ainsi passé de 2,3 personnes nourries par hectare cultivé en 1960 à 4,5 personnes en 2010. Les projections pour 2030 fournies par Luc Ozanne indiquent que l’on pourrait passer à 5,3 personnes par ha cultivé. Cet accroissement des rendements pourrait néanmoins être limité par les effets négatifs du changement climatique. A ce propos, Luc Ozanne affirme que 50 % des études scientifiques prévoient un effet négatif du changement climatique sur les rendements à l’horizon 2030, et 50 % un effet positif. En revanche, à l’horizon 2050, on est plutôt dans un rapport 80-20.

En définitive, on devrait parvenir à satisfaire la demande en protéines à l’échelle mondiale à l’horizon 2030, mais avec des disparités accentuées selon les régions. Les déficits entre consommation et production de protéines devraient ainsi s’accroître en Afrique, en Asie et en Afrique du Nord-Moyen-Orient. Par ailleurs, il devrait y avoir de plus en plus de difficultés à satisfaire une demande en produits animaux en raison d’un déficit en tourteaux d’oléagineux, qui devrait avoir des répercussions sur la production de viande et donc sur son prix. La demande mondiale de tourteaux progresserait de 53 % entre 2010 et 2030. A cet horizon, la demande dépasserait l’offre de 15 %. Cela a d’ailleurs conduit plusieurs institutions à revoir à la baisse leurs perspectives de production de viande dans les décennies à venir.

Un marché très prometteur

Le marché des protéines apparaît par conséquent extrêmement prometteur. Christian Couilleau, le directeur général du groupe Even, estime ainsi qu’il est très positif d’être certain d’avoir un marché dans les décennies à venir, ce que beaucoup d’autres secteurs d’activités aimeraient avoir.

Si l’on effectue une synthèse des différentes interventions, on peut distinguer trois types d’opportunités. La première, la plus évidente, est celle du marché des pays émergents se situant dans la première transition nutritionnelle, « ceux qui ont faim », selon l’expression d’Anne Lacoste (Cooperl), et plus précisément qui ont « faim de viande » (Jean-Paul Simier).

Le second type d’opportunités correspond à un certain nombre de marchés spécifiques de protéines dans les pays développés, comme dans les pays émergents. Dans ce cas-là, l’offre doit chercher à répondre à des besoins nutritionnels spécifiques. Christian Couilleau a identifié trois de ces besoins : (1) le marché infantile dans le monde et notamment en Afrique, (2) le marché de ce qu’il appelle les « moments spéciaux de la vie » : personnes souffrant de maladies graves comme les cancers, gériatrie alors qu’un très grand nombre de personnes âgées souffrent de dénutrition lorsqu’elles sont en maison de retraite, et (3) le marché des sportifs. Chacune de ces catégories a des besoins nutritionnels propres auxquels le marché se doit de répondre. Christophe Couilleau y rajoute également un marché lié aux tendances à la mode, comme c’est le cas aujourd’hui du marché des « sans » (gluten, lactose, etc.).

Le troisième type d’opportunités consiste à tenter de répondre aux besoins en protéines des pays développés, de « ceux qui ont le choix » selon l’expression d’Anne Lacoste, qu’il convient, selon elle, de rassurer et de séduire. Dans un contexte où les populations des pays riches, comme la France, tendent à consommer moins de viande, mais aussi davantage de protéines végétales, et sont tentées pour une partie d’entre elles par le fléxitarisme – elles décident de manger moins de viande, sans être pour autant végétariennes car elles aiment la viande –, il existe certainement des opportunités dans le développement des protéines alternatives (micro-algues, champignons, insectes) ou encore des produits de substitution à la viande.

Céline Laisney a, en effet, souligné à quel point les substituts à la viande deviennent de plus en plus sophistiqués et se rapprochent de la viande. Ce fut, dans un premier temps, le tofu, puis les steaks végétaux pour en arriver aujourd’hui aux steaks à base de protéines végétales structurées qui ont une saveur et une texture de plus en plus proches de celles de la viande. Ces derniers sont notamment développés par des start-ups aux Etats-Unis. Mais des industriels de la viande plus classiques semblent s’y mettre également dans certains pays. C’est le cas en Allemagne où des industriels comme Wiesenhof commercialisent désormais des produits pour végétariens, par exemple une mortadelle et une saucisse, la célèbre Wurst allemande. On observe d’ailleurs une évolution similaire pour les produits laitiers avec des laits végétaux.

La difficulté d’anticiper l’avenir

Au final, les interventions étaient toutes de qualité et intéressantes, mais ce type de colloque tend à montrer toute la difficulté à pouvoir se projeter dans l’avenir, en l’occurrence à l’horizon 2030.

La tentation est, en effet, grande d’analyser la situation présente et le passé récent pour tenter d’identifier par extrapolation ce que peuvent être les évolutions de demain. C’est ce qu’ont fait certains intervenants avec le risque de sous-estimer les « chocs » ou les « ruptures » qui sont susceptibles de se produire d’ici là, que ceux-ci soient positifs (innovations technologiques, nouveaux acteurs « disruptifs » sur un marché) ou négatifs (catastrophe sanitaire, crise de confiance des consommateurs, crise économique, hausse brutale du prix des matières premières ou des denrées alimentaires, conflits, pandémies, etc.). A la fin des années 1990, lorsque l’on envisageait l’avenir dans le secteur de la téléphonie mobile, bien peu d’experts auraient pu imaginer, par exemple, l’avènement des smarphones qui ont tout changé dans ce secteur au point que le géant de l’époque, Nokia, qui n’a rien vu venir, a disparu aujourd’hui.

Une autre approche consiste à tenter d’identifier des « signaux faibles » ou des « faits porteurs d’avenir ». C’est également l’approche qui a été privilégiée par certains intervenants. Mais, en l’occurrence, il n’est pas toujours facile de les distinguer des « tendances à la mode », de fait éphémères. Le cas des régimes « sans » est assez symptomatique de ce point de vue : est-ce une simple mode sans lendemain ou bien une tendance émergente ? Il en est de même pour la consommation de micro-algues ou a fortiori d’insectes.

Enfin, une dernière approche consiste à s’appuyer sur un certain nombre de tendances lourdes, comme l’évolution démographique, les transitions nutritionnelles dans les pays émergents ou le changement climatique, pour tenter d’anticiper les grands enjeux futurs. C’est celle qui a été suivie par quelques intervenants, tels que Luc Ozanne, et c’est certainement celle qui permet le mieux d’appréhender ce que le monde de demain nous réserve : une demande croissante en protéines.
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Source : wikiagri.fr, Fougier Eddy, 11/12/2015

vendredi 11 décembre 2015

Ils imaginent la nourriture du futur à partir des boulettes de viandes Ikea

"Tomorrow’s Meatball" est une exploration de la nourriture du futur imaginé par Space10, un laboratoire d’innovation appartenant à Ikea. Space 10 a présenté, le 9 décembre 2015, ses alternatives aux classiques boulettes de viandes Ikea. 

Insectes, algues, impression 3D… La food aussi est un lieu d’innovation pour Space10, le labo de recherche indépendant d’Ikea. Basé à Copenhague, Space10 a présenté le 9 décembre 2015 «Tomorrow’s Meatball», une exploration de la nourriture du futur. Avec cette plongée dans un avenir pas si lointain que cela, le hub d’innovation d’Ikea cherche surtout des alternatives à la consommation de viande, qui est de plus en plus dénoncée comme responsable des problèmes environnementaux. D’après l’ONU, la demande en nourriture devrait augmenter de 70% ces 35 prochaines années. A la clé des problèmes de pollution de l’eau douche, de déforestation, d'érosion des sols, et plus encore… "Avec l’augmentation de la demande de nourriture, nous devons commencer à intégrer des ingrédients alternatifs dans nos repas quotidiens" explique Bas Van de Poel, un artiste en résidence au labo Space10.

"Rendre familier ce qui n’est pas familier"                                                                    

"C’est compliqué de photographier ce que nous mangerons dans un futur proche, des insectes, de la viande artificielle note Bas Van de Poel, nous avons voulu rendre familier quelque chose qui ne l’est pas" ajoute-t-il. Le choix de la boulette de viande Ikea était logique pour Kaave Pour, directeur de la création à Space10 : "Nous avons utilisé les boulettes de viandes comme un tableau des scénarios possibles de la nourriture du futur, car nous voulions présenter des recherches complexes de manière fun, simple et familière". Les boulettes de viandes sont aussi présentes dans différentes cultures, "des spaghettis italiens ou américains, à la boulette de viande suédoise, en passant par les keftas"  explique Kaave Pour. Très visuelle, l’exploration de territoires gastronomiques encore inconnus du Space10 questionne su
r la manière de consommer et les alternatives possibles dans un futur tout proche.
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Source : lsa-conso.fr, Charlène Lermite, 10/12/2015

mercredi 9 décembre 2015

Frankenfish et autres aliments “de laboratoire”

Les Etats-Unis autorisent pour la première fois la vente de saumon transgénique, baptisé “Frankenfish” par ses détracteurs. Une tendance à l’aliment “de laboratoire” qui prend de l’essor outre-Atlantique.

Il n’aura fallu qu’une vingtaine d’années pour que le saumon transgénique – baptisé « Frankenfish » par ses ennemis – soit officiellement autorisé dans les assiettes américaines par la Food and Drug Administration (FDA, agence de santé américaine). Il est l’œuvre de la société AquaBounty Technologies (Massachusetts) qui a créé un saumon grossissant deux fois plus vite que ses congénères en lui injectant des gènes de saumon chinook du Pacifique – pour accélérer sa croissance – et ceux d’une anguille de roche – pour résister au froid, qui stoppe cette croissance durant l’hiver. Le but de l’opération était clair  : produire et vendre deux fois plus vite en réduisant de moitié le coût de l’élevage. Pas question d’améliorer le goût ni la qualité, ni de modifier l’apparence, simplement de doubler les volumes et les bénéfices.

Dès le début de son processus d’homologation, « Frankenfish » a suscité l’opposition de nombreux secteurs  : associations de consommateurs, militants anti-OGM ou pêcheurs professionnels, qui ont multiplié les recours et les enquêtes d’impact pour retarder sa mise sur le marché. S’il apparaît prématuré d’évaluer les risques pour la santé humaine en l’absence de toute consommation de masse, la question de son éventuelle prolifération en milieu naturel et de la contamination des saumons sauvages en cas d’évasion de ses fermes d’aquaculture mérite d’être posée. Différentes études ont montré que le croisement entre saumons d’élevage et sauvages conduit à terme à l’affaiblissement, voire à l’élimination de ces derniers.

Pas de mention « OGM »

AquaBounty affirme avoir réglé le problème en élevant uniquement des femelles stériles (triploïdes) qui ne pondent pas, et en installant ses sites de production à l’intérieur des terres et en milieu fermé. Au Canada, où, en cas d’évasion, les petits « Frankenfish  » ne survivraient pas dans les eaux trop froides, et à Panama, où, à l’inverse, les eaux trop chaudes les condamneraient à une mort certaine.
La FDA a cependant précisé qu’en aucun cas ce saumon transgénique ne pouvait être élevé sur le territoire des Etats-Unis. Courageux mais pas téméraire  ! La mention «  contient des OGM  » n’a pas été jugée nécessaire sur les étiquettes. Puisqu’on certifie que «  Frankenfish  » est comestible, pourquoi ajouter plus de détails qui ne pourraient que susciter de la confusion chez le consommateur, tel est le raisonnement de la FDA. AquaBounty souligne de son côté que la production de ces saumons transgéniques sera créatrice d’emplois et contribuera à relever le défi de nourrir 9 milliards de Terriens à l’horizon 2050.

C’est l’un des principaux arguments de tous les promoteurs d’une nouvelle façon de manger, grâce à des aliments concoctés dans le secret des laboratoires. Le mouvement est en marche depuis quelques années sur la Côte ouest des Etats-Unis autour de la Silicon Valley où fleurissent les start-up décidées à briser le modèle alimentaire dominant. Comment  ? En remplaçant les protéines animales par des protéines végétales ou de synthèse, ce qui permettra en outre de réduire la consommation de viande, pour le plus grand bien de l’environnement et de la santé de l’humanité. Tel est le discours de base qui n’est pas destiné à un petit cercle de végétariens ou autres mais vise à convaincre l’ensemble du public.

Agriculture cellulaire

Selon Tim Geistlinger, de Beyond Meat, qui a créé un Beast Burger à base de pois jaunes du Canada et de 35 autres ingrédients, «  l’objectif n’est pas de produire un substitut à la viande mais un aliment riche en protéines, sans soja ni OGM  ». Ces «  nouveaux aliments  », fruits d’une agriculture cellulaire – à base de cellules souches ou artificielles –, se multiplient comme des petits pains  : mayonnaise sans œuf d’Hampton Creek, œufs sans poule de Clara Food, lait de vache sans vache et à base de levures de Muufri, viandes et fromages à base de plantes chez Impossible Foods…

Les «  nourritures  » ainsi produites gardent néanmoins l’apparence de leur nom et nécessitent un minimum de préparation avant d’être mangées. Avec Soylent (Soylent.com), on passe au stade supérieur. Plus question de perdre son temps à faire ses courses, à cuisiner ou à s’asseoir à table pour le repas, toutes activités nuisibles au travail et à la rentabilité. Soylent a la solution  : une poudre contenant tous les éléments nutritifs nécessaires au corps humain, qu’il suffit de dissoudre dans deux ou trois volumes d’eau et d’avaler vite fait avant de retourner devant son écran. Dix dollars la ration quotidienne de 2 000 calories, breakfast, déjeuner et dîner. L’équivalent du passage à la pompe à essence pour l’homme, qui pourra choisir son carburant sans plomb ou sans gluten en fonction des mélanges disponibles. Après le fast-food et la junk food, place à la « Frankenfood ». Appétissant, non?
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Source  : lemonde.fr, JP Géné, 09/12/2015

jeudi 26 novembre 2015

Les régimes «green» : aussi bon pour la planète que pour la santé ?

Végétarien, flexitarien, végétalien ou encore pescétarien, ces modes alimentaires séduisent de plus en plus. 

Supprimer steaks de bœuf et côtes de porc de son alimentation. Un choix d'alimentation tentant pour quiconque ne veut pas participer à l'élevage intensif et ce qu'il suppose de pollution. Mais pour rester en bonne santé, exclure les protéines animales doit rimer avec introduire plus de protéines végétales à ses repas. Et l'exercice est parfois difficile.

Ils sont tous deux docteurs en nutrition mais ne partagent pas le même avis sur les protéines animales. Le docteur Alexandra Dalu qui signe «Les 100 idées qui vous empêchent d’aller bien» (éditions Leduc.s) estime que l’Humain, en parfait omnivore, ne doit pas se priver de ces aliments «nécessaires» à l’organisme. Le docteur Jérôme Bernard-Pellet, auteur de «Comment manger moins de viande» (éditions La Plage) est cofondateur de l’APSARes, Association de Professionnels de Santé pour une Alimentation Responsable, qui fait la promotion d’une alimentation ayant l’empreinte écologique la plus faible possible. Il défend l’idée que les protéines végétales peuvent remplacer à 100% toutes les protéines animales. Nous avons confronté les deux.

Manger peu ou pas du tout de protéines animales est aujourd’hui devenu une tendance de vie, est-ce une bonne chose ?

Dr Alexandra Dalu : Si nous n’équilibrons pas nos repas, il y a risque de carences en macro et micronutriments, la frustration engendre par ailleurs des troubles du comportement alimentaire. Les régimes les plus stricts dont ceux qui suppriment toute protéine animale, sont parfois difficiles à suivre, contraignants et contre-indiqués pour les femmes enceintes, les gens malades, les adolescents en croissance, les enfants en bas âge, les sportifs de haut niveau…Si c’est contre-indiqué pour eux, autant dire que ce n’est pas idéal pour l’organisme. Aujourd’hui, on arrive dans une époque où il faut presque réhabiliter la protéine animale ! N’oublions pas que l’homme est historiquement chasseur-pêcheur-cueilleur et que les régimes crétois, méditerranéens et les études sur le régime des habitants de l'île d’Okinawa, sont les plus « cotés » au monde pour s’assurer une bonne santé cardio-vasculaire et de longévité.

Dr Jérôme Bernard-Pellet : Oui, sans aucune ambiguïté. En effet, il est désormais amplement prouvé qu'une alimentation majoritairement végétale voire 100 % végétalienne augmente l’espérance de vie. Il a été démontré récemment dans une étude de cohorte publiée en juillet 2013 dans le JAMA Internal Medecine. Inversement, une consommation excessive de viande rouge favorise le cancer du côlon, les maladies cardio-vasculaires, l'hypercholestérolémie, l'hypertension ainsi que le diabète de type 2. Même s'il faut bien sûr respecter le choix de chacun, les professionnels de santé ont intérêt à encourager une diminution de la consommation de viande. Il n'y a aucune contre-indication connue à ce jour pour les alimentations végétarienne et végétalienne d'après les études scientifiques qui sont synthétisées dans cette revue de la littérature de l'Association américaine de diététique. Les enfants, les femmes enceintes et les sportifs peuvent aussi suivre ce mode de vie s'ils le souhaitent.

Comment concilier préservation de la planète et de la santé?

Dr Alexandra Dalu : Celui qui préserverait le mieux la planète serait celui qui mange raisonnablement de tout, c’est donc l’omnivore qui justement varie les aliments. Imaginons une population qui ne mangerait que du végétal, il faudrait faire des champs à perte de vue, quel impact alors sur la terre ? Idem si nous ne consommions que des produits de la mer, cela favoriserait une pêche intensive. Ce sont des extrêmes à éviter que ce soit pour la santé ou en terme d’écologie, de commerce et de production. Il faut d’ailleurs notifier qu’à l’heure actuelle la CEE étudie les niveaux de pesticides que sont les perturbateurs endocriniens largement utilisés dans l’agriculture et ce qu’elle soit bio ou non. Les seuils selon l’INSERM sont contrôlés, mais les chercheurs de l’institut recommandent d’éviter les perturbateurs endocriniens retrouvés en trop forte quantité sur les végétaux pour la population la plus fragile telle que les fœtus surtout durant le 1er mois de grossesse, les enfants en pleine croissance, les personnes malades et les femmes enceintes à qui l’on conseille de consommer bio. Les personnes ayant une vie active intense et urbaine, doivent varier les plaisirs alimentaires en associant un fruit et un légume ou une crudité à son plat principal et faire de temps à autre des cures detox avec de la spiruline et de la chlorelle retrouvée dans des compléments alimentaires.

Dr Jérôme Bernard-Pellet : Végétaliser son alimentation est l'une des mesures les plus efficaces qu'un individu puisse prendre pour préserver l'environnement. La grande affaire est qu'il faut fournir en moyenne 10 calories à un animal pour n'obtenir en retour qu'une seule calorie sous forme de viande. Nourrir les animaux avec des végétaux qu'on pourrait consommer directement conduit ainsi à gaspiller environ 90 % des ressources en céréales et en légumineuses ! Ce sont 70 % des terres à usage agricole dans le monde qui, directement ou indirectement, sont consacrées à l’élevage d'après un rapport de la FAO. Par ailleurs, l’élevage émet plus de gaz à effet de serre que tous les moyens de transports réunis d'après ce même rapport.

Ne pas consommer de protéines animales, est-ce vraiment dangereux pour la santé ?

Dr Alexandra Dalu : D’un point de vue santé, il faut garder en tête qu’il y a risque de carence avec n’importe quel régime restrictif. Le meilleur conseil est de privilégier la variété des aliments, la richesse en aliments à haute valeur nutritionnelle, la « super food ». Il est par exemple démontré et rapporté dans le rapport de l’INSERM, que pour les seniors, un apport de protéines (poissons, viandes, œufs, produits laitiers) associé à une bonne activité physique est garant d’une bonne musculature luttant contre la sarcopénie (fonte des muscles), l’ostéoporose, le vieillissement physique en général et protège les fonctions cérébrales cognitives (langage, mémoire, coordination spatio-temporelle). Un apport nutritif insuffisant en macro et micro nutriments entraînent de nombreuses pathologies qui vont au delà des carences en fer, B12, B9. Deux études américaines récentes datant de 2014 publiée dans Cell Metabolism et l’autre dans Science, montrent l’impact bénéfique sur la longévité d’une petite restriction calorique en protéines animales avant l’âge de 65 ans mais pas au delà, donc attention !


Dr Jérôme Bernard-Pellet : Non, sans aucune ambiguïté. En vérité, les protéines végétales font mieux que les protéines animales. L'étude de cohorte du Dr Orlich ayant suivi plus de 73 000 patients pendant presque 6 ans l'a brillamment démontré. Non seulement la non-consommation de protéines animales n'a entraîné aucun préjudice chez les patients ayant choisi cette option mais par dessus le marché, elle a provoqué un allongement de leur durée de vie. Ceci fait prendre conscience que nous avons complètement surestimé l'impact négatif des éventuelles carences des alimentations végétarienne et végétalienne, largement compensées par des effets positifs. Le seul réel risque de carence concerne la vitamine B12 ce qui fait que je recommande une complémentation systématique avec 1000 microgrammes de vitamine B12 par semaine. La carence en vitamine D est un fléau de santé publique qui existe à la fois chez les omnivores et les végétariens par manque d'exposition au soleil. Inversement, les carences en vitamine B9, vitamine C et en fibres alimentaires sont plus rares chez les végétariens et végétaliens.
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Source : leparisien.fr, Lisa Malone, 26/11/2015

lundi 23 novembre 2015

"Les protéines végétales : répondre aux enjeux globaux" - Monographie de la Fondation Louis Bonduelle

La Fondation Louis Bonduelle vient de publier une nouvelle monographie sur les protéines végétales. Ce dossier scientifique répond à la question suivante : Et si l’avenir de la planète et des Hommes passaient par les légumes secs, les céréales, les graines et les noix ?

Dans le cadre de la COP21,  La Fondation Louis Bonduelle réaffirme l’importance des protéines végétales dans l’alimentation humaine, aussi bien par leur grande qualité nutritionnelle que par leurs avantages écologiques et économiques, évidents mais méconnus. Pour aller plus loin, la thématique des prochaines Rencontres de la Fondation Louis Bonduelle porterons également sur ce sujet. L’événement aura lieu le 7 juin à Paris.

Extrait

Selon les projections des experts de l’ONU, la consommation alimentaire mondiale devrait doubler au cours des vingt prochaines  années. Avec le défi de nourrir 9 milliards de personnes à l’horizon 2050, les préoccupations nutritionnelles, environnementales et de sécurité alimentaire engendrées par la production des aliments émergent au plan global.

Les protéines sont des nutriments essentiels à une alimentation équilibrée. Selon les zones géographiques et les cultures alimentaires, elles sont principalement apportées par des aliments d’origine végétale ou animale. Les protéines végétales sont présentes dans des aliments de haute valeur nutritionnelle. Souvent opposées aux aliments comportant des protéines animales, leur complémentarité devrait pourtant être valorisée.

Parmi les différentes approches préconisées, le développement de la production et de l’utilisation des sources de protéines végétales dans l’alimentation humaine est mis en avant.

En Europe, le marché des protéines végétales connaît une croissance lente mais régulière depuis 30 ans. Leur développement se heurte toutefois à plusieurs barrières, notamment sur les plans culturel et nutritionnel, d’où la nécessité de faire évoluer les perceptions et les comportements des consommateurs.

Télécharger la monographie sur les protéines végétales sur le site de la Fondation Louis Bonduelle (inscription gratuite)

mercredi 11 novembre 2015

Du haricot jaune au pois cajan: l'ONU a lancé l'Année internationale des légumineuses le 10 novembre 2015 à Rome

2016 sera l’année de la promotion des apports protéiniques et des effets bénéfiques sur la santé procurés par les légumes secs. 

Les légumineuses, notamment toutes sortes de haricots secs et de pois, sont une source bon marché, délicieuse et nutritive de protéines et de micronutriments essentiels et aux effets bénéfiques sur la santé et les moyens d’existence, en particulier dans les pays en développement, souligne aujourd’hui l'ONU dans un message annonçant le lancement en 2016 de l'Année internationale des légumineuses.

«Les légumineuses sont des cultures vivrières importantes pour la sécurité alimentaire de vastes tranches de populations, en particulier en Amérique latine, Afrique et Asie, où elles font partie de l'alimentation traditionnelle et sont souvent cultivées par les petits agriculteurs», a déclaré notamment M. José Graziano da Silva, Directeur général de la FAO.

«Les légumineuses ont, au cours des siècles, constitué une partie essentielle de l’alimentation humaine. Et pourtant, leur valeur nutritive est généralement méconnue et souvent sous-estimée», a-t-il ajouté.

«Les légumineuses peuvent contribuer de manière significative à la sécurité alimentaire et à la santé humaine, ainsi qu’à la lutte contre la faim, la malnutrition et les défis environnementaux», a indiqué de son côté le Secrétaire général de l'ONU M. Ban Ki-moon dans une déclaration écrite prononcée en son nom lors de la cérémonie de lancement de l’Année internationale des légumineuses.

Sous le slogan «Des graines nutritives pour un avenir durable», l'Assemblée générale des Nations Unies a déclaré 2016 Année internationale des légumineuses afin de sensibiliser sur les nombreux avantages que les légumineuses offrent, d’en stimuler la production et le commerce et d'en encourager de nouvelles utilisations intelligentes le long de la chaîne alimentaire.

Dans un geste symbolique après son allocution, le Directeur général de la FAO a planté une poignée de fèves dans un pot de terre au moment où il proclamait ouverte l'Année internationale des légumineuses.

Un potentiel inexploité

Les légumineuses font partie de la culture alimentaire et de l'alimentation de tous les jours du commun des mortels dans la plupart des régions du monde et constituent un ingrédient essentiel dans un grand nombre de plats nationaux ou régionaux, notamment le falafel, le dahl, le piment et les fèves au lard.

On trouve des centaines de variétés de légumineuses cultivées à travers le monde. Les plus populaires comprennent les différentes variétés de haricots secs, tels que les haricots rouges, les haricots de Lima, les haricots jaunes et les fèves, mais aussi les pois chiches, le niébé, les haricots à œil noir et les pois cajans (en savoir plus sur les légumineuses).

Les légumineuses sont une alternative aux protéines animales qui sont en général hors de portée des populations pauvres, ce qui les rend idéales pour améliorer les régimes alimentaires dans les régions moins favorisées de la planète. A titre d’exemple, les protéines procurées par le lait sont cinq fois plus chères que les protéines des légumineuses.

Du fait que les cours des légumineuses sont deux à trois fois plus élevés que ceux des céréales, elles offrent un potentiel supérieur pour tirer les agriculteurs de la pauvreté rurale et leur traitement représente des possibilités économiques supplémentaires, surtout pour les femmes rurales.

Les bénéfices sur la santé

Bien que de dimensions réduites, les légumineuses sont riches en protéines: le double par rapport au blé et le triple par rapport au riz.

Elles sont également riches en oligo-éléments, acides aminés et vitamines B qui sont, ainsi que l’a rappelé le Directeur général de la FAO, les éléments essentiels d'une alimentation saine.

Pauvres en gras et riches en nutriments et en fibres solubles, les légumineuses sont également excellentes pour la gestion du cholestérol et de la digestion. Leur forte teneur en fer et en zinc les rend un allié puissant pour combattre l'anémie chez les femmes et les enfants. Elles sont un ingrédient clé dans les régimes alimentaires conçus contre l'obésité et la prévention ou la gestion des maladies chroniques telles que le diabète, les conditions coronariennes et le cancer.

En raison de leur haute teneur nutritionnelle, les légumineuses sont un aliment de base dans les paniers alimentaires d'urgence et vu qu’elles ne contiennent pas de gluten, elles sont également appropriées pour les patients cœliaques.

Bienfaits pour les animaux et l'environnement

Les légumineuses ne sont pas seulement bénéfiques pour la santé humaine; elles améliorent aussi la santé des animaux et des sols tout en maintenant la biodiversité.

Les résidus de récolte de légumineuses sont utilisés comme fourrage pour augmenter la concentration d'azote dans l'alimentation animale, ce qui améliore la croissance et la santé des animaux.

Le Directeur général de la FAO a souligné en particulier la façon dont les propriétés fixatrices de l'azote des légumineuses améliorent la fertilité des sols, ce qui accroît la productivité des terres agricoles et élimine la dépendance à l’égard des engrais chimiques. Cela a d’ailleurs pour effet direct de réduire l’empreinte carbone et indirectement les émissions de gaz à effet de serre.

En outre, les légumineuses, en améliorant la santé des sols, enrichissent aussi la biodiversité du terreau où se multiplient les insectes, les microbes et les bactéries de toutes sortes.

Les légumineuses, en tant que groupe génétiquement extrêmement varié, détiennent également un grand potentiel pour l'adaptation au climat, car elles permettent aux agriculteurs de sélectionner de nouvelles variétés et d’adapter ainsi leur production à l'évolution des conditions climatiques.

Par ailleurs, l’utilisation des légumineuses comme cultures de couverture et dans les systèmes de cultures intercalaires – en les plantant entre d’autres cultures ou dans le cadre de la rotation des cultures – réduit l'érosion des sols et aide à lutter contre les ravageurs et les maladies des plantes.

Les co-présidents du Comité de direction de l'Année internationale des légumineuses, Aydin Sezgin Adnan et Nadeem Riyaz, représentants permanents de la République de Turquie et de la République islamique du Pakistan auprès de la FAO, ont prononcé, tout à tour, les discours d’ouverture et de clôture lors de la cérémonie qui s’est tenue aujourd’hui au siège de la FAO, à Rome. M. Mahmoud Solh, Directeur général du Centre international de recherche agricole dans les zones arides (ICARDA), a également présenté un exposé au cours de cette cérémonie marquant le lancement de l’Année internationale des légumineuses.

Signalons enfin que les Années internationales précédentes relatives à l’agriculture avaient pour thèmes les sols, l'agriculture familiale et le quinoa.
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Source : fao.org, 10/11/2015

samedi 31 octobre 2015

L'avenir de la viande sera design

Risque de cancer, scandaleuses conditions d'abattage: carnivores, ne perdez pas espoir! Winston Churchill n'avait-il pas prédit l’avènement de la viande in vitro? Grâce aux progrès de la science et au design, elle sera bientôt dans vos assiettes –ainsi que la viande sans viande et la viande qui pousse sur les arbres.

De la viande sans douleur et sans risque sanitaire? Dans un essai publié en 1931 par le magazine Strand, Winston Churchill livrait sa vision de notre monde un demi-siècle plus tard, un monde dans lequel les microbes seraient utilisés, à la manière dont les boulangers fabriquent du pain à partir de levure, pour développer de la viande et ainsi «échapper à l'absurdité d'élever un poulet pour n'en manger qu'une escalope ou une aile», en faisant «pousser» lesdites parts en fonction des besoins ou des envies.

«La nourriture synthétique, sera, bien sûr, également utilisée dans le futur» sans pour autant renoncer aux plaisirs de la bonne chère, précise le futur Premier ministre britannique. Rien d'horrifiant dans cette utopie nutritionnelle, puisque «ces nouveaux aliments seront quasiment impossibles à distinguer des produits naturels, et que le changement sera apporté graduellement, échappant ainsi à l'observation.»

Avec trois décennies de retard, il semblerait que la vision de Churchill prenne forme. La viande synthétique existe et Bill Gates lui-même nous assure qu'il n'y a pas cru, la première fois qu'il a croqué un tacos fourré au poulet sans poulet: «Comme la plupart des gens, j'imagine qu'on ne peut pas m'avoir facilement. Pourtant, c'est précisément ce qui s'est passé quand on m'a demandé de goûter un taco au poulet.»

Encore mieux que le Canada Dry, ce poulet avait l'odeur, la texture et le goût de la volaille, mais était entièrement composé de produits végétaux: «Ce que j'étais en train de tester, c'était plus qu'un substitut de viande intelligent», s'engoue Gates, «c'était le goût du futur de la nourriture». Soutenue par Gates et Obvious Corporation (incubateur créé à l'initiative des co-fondateurs de Twitter, Evan Williams et Biz Stone), la start-up Beyond Meat a grandi et distribue désormais une quinzaine de références (substituts de poulet, de bœuf, boulettes ou croquettes) dans diverses grandes chaînes d'alimentation aux Etats-Unis.

Non, ce n'est pas nouveau. John Harvey Kellogg, dont le nom restera à jamais associé à nos petits-déjeuners, avait inventé une «viande sans viande» à base de végétaux dès 1896! L'innovation récente réside essentiellement dans le fait que, comme Churchill l'avait envisagé, les consommateurs se sont progressivement faits à l'idée – et l'amélioration de la saveur, de l'aspect des aliments a joué un rôle favorable.

Aux Pays-Bas, l'idée farfelue de Jaap Korteweg s'est transformée en success story: sa boucherie végétarienne (une première mondiale) installée à la Haye, lui vaut le prix de l'Entrepreneur de l'année. Peut-il, après les consommateurs hollandais, séduire le marché français avec son coq au vin sans coq?

Animaux d'un genre nouveau: Eating design

Beyond Meat ne s'adresse cependant pas à un public végétarien mais amateur de viande, avec l'espoir avoué de réduire de 25% la consommation mondiale de viande d'ici 2020.

A ceux-là, comme aux consommateurs qui font le vœu d'abandonner la viande mais éprouvent du mal à sauter le pas, la designer Marije Vogelzang propose une alternative: «Faked meat» est un projet initié par la designer culinaire au cours de ses études, qu'elle a ensuite développé. A la tête du département «Food non food» de la fameuse Design Academy d'Eindhoven, Vogelzang avait imaginé sa «fausse viande» en réaction aux substituts qui ont soudain déferlé sur le marché. Saucisses de tofu, côtelettes à base de protéines de pois chiches? «Autant inventer de nouveaux animaux!» Lointains cousins du dahu, quatre nouvelles créatures ont vu le jour, incitant les consommateurs à réfléchir sur leur façon de se nourrir.

Ainsi, les gourmets aventureux sauront désormais que le Ponti d'Europe se déniche au cœur de volcans, ce qui confère à sa chair une délicate saveur fumée. Sa queue rigide en fait un encas idéal, facile à manger avec les doigts. L'Herbast, lui, n'a ni queue ni tête. Il s'agit d'un animal herbivore (donc déjà assaisonné) plutôt carré et facile à découper: prêt à déguster! Rêve de tout amateur de sushi, le Biccio se balade le long des côtes russo-japonaises, dans la partie nord de l'océan pacifique. Se nourrissant exclusivement d'algues, ce «poisson» est naturellement truffé d'anti-oxydants. On terminera sur une note sucrée: la chair du Sapicu, mignonne bestiole canadienne, est infusée du parfum des feuilles et du sirop d'érable dont il est friand. Caramélisé ou nappé de chocolat, c'est le dessert idéal, nous promet Vogelzang.

Non, ce bestiaire miraculeux n'existera pas. «Nous – en tant qu'humains, en tant que planète – sommes dépendants d'une  alimentaire saine, d'un millier de façons. Je ne m'attends pas à ce que les designers sauvent la planète mais je constate que ce système d’alimentation a besoin de designers et de design thinking», expliquait l'Eating designer à Marcus Fairs.

Steak de cellules souches, sponsorisé par Google

Mais les animaux imaginés par Marije Vogelzang sont-ils plus insensés ou improbables que la prédiction de Winston Churchill en 1931? La viande «cultivée» in vitro a bien vu le jour. En août 2013, le professeur Mark Post de l'Université de Maastricht (une future cause nationale?) présentait le tout premier steak hâché «né» en laboratoire, fruit de 5 années de recherche qui auront coûté environ 300.000€.

Le «Frankenburger» se fabrique en prélevant des cellules souches sur un muscle de bœuf. Plongées dans une substance nutritive, elles se développent pour créer des lamelles– ou plus concrètement, des fibres musculaires– qui s’étirent pour atteindre 3 cm de long sur 1,5 cm de large et 0,5 mm d’épaisseur. Un steak haché nécessite 3.000 lamelles de tissu musculaire additionnées de quelques centaines de lamelles de tissu adipeux.

Le laboratoire «Cultured Beef» a connu quelques soubresauts, faute de fonds. Un investisseur a donné le salutaire coup de pouce. Sergueï Brin, co-fondateur de Google, s'est engagé «par motivation personnelle, car il s'inquiète du bien-être des animaux», révélait Mark Post. Le projet au départ focalisé sur la viande de porc a finalement utilisé, à la demande du mécène, des cellules de bœuf:
«Finalement, c'était un bon choix, car les problèmes générés par l'élevage intensif de bovins sont plus importants.»

Des cellules souches prélevées sur une unique vache pourraient, en suivant la «recette» de Mark Post, générer 175 millions de burgers, pour lesquels il faudrait aujourd'hui élever puis abattre 440 000 bovins. Une pratique qui pourrait entraîner une réduction des gaz à effet de serre, épargner de grandes quantités d'eau et peut-être permettre d'utiliser autrement une partie des 70% des terres agricoles dans le monde exclusivement réservées à l'élevage industriel.

Selon le Programme des Nations unies pour le développement, rapportait Le Monde en avril dernier, d'ici 2080 «600 millions de personnes supplémentaires chaque année pourraient souffrir d’insécurité alimentaire». En 2009, un rapport de la FAO assurait que la consommation en viande en 2050 pourrait atteindre 470 millions de tonnes par an, deux fois plus qu'aujourd'hui.

D'ici 5 à 7 ans, la viande cultivée en laboratoire pourrait être disponible sur le marché. A l'heure actuelle, estime Mark Post, elle coûterait au consommateur 19 € le kilo –mais l'équipe de «Cultured Beef» espère en réduire le prix de vente. Et fait des émules: la semaine dernière s'achevait à Maastricht le 1er symposium international de la «Cultured meat».

Il reste encore à convaincre les consommateurs. Une grande majorité des personnes interrogées par l'équipe marketing du projet en reconnaît l'intérêt mais ne souhaite pas forcément y planter sa fourchette. Pour induire une évolution plus rapide des mentalités, Mark Post travaille avec des philosophes. «Pour l'instant, tout cela est très intellectuel, car nous n'avons rien de concret dans l'assiette. C'est un équilibre à trouver entre le refus impulsif et l'acceptation rationnelle que nous ne pouvons pas continuer ainsi.»

Un peu d'humour permettra peut-être, sinon l'acception, de dompter quelque peurs ? Dans la même veine que Marije Vogelzang, l'équipe du restaurant virtuel «Bistro in vitro» invitait des designers à imaginer des recettes à base de viande in vitro. Viande séchée en rouleau, barbapapa de bœuf, mojito à la viande...

Demain, l'arbre à viande ?

Marije Vogelzang décrit son travail d'«eating designer» comme l'analyse de nos habitudes alimentaires à travers huit catégories: les sens, la nature, la culture, la société, la technique, la psychologie, la science et enfin l'action. Chaque performance culinaire de la designer incite au dialogue et à la réflexion.

Lors de la Paris Design Week en septembre 2015, elle présentait ses «Plant Bones» dans le cadre de l'exposition du collectif Thinking Food Design (à l'initiative de Marc Brétillot, pionnier et inventeur du design culinaire, et Earlwyn Covington) à la Galerie Joseph Braque. «Les archéologues du futur ont trouvé de curieux artefacts qui prouvent que nos successeurs mangeront de la viande qui pousse comme les plantes.» 


Plutôt que fabriquer des substituts de saucisse ou de boulettes de bœuf à partir de végétaux, on les ferait donc directement pousser dans nos jardins? C'est un peu l'idée, puisque chaque «Plant Bone» possède une structure osseuse, ou quelque chose d'approchant, mais entièrement composée de cellulose, avec les mêmes qualités nutritionnelles que la viande –et pousse sur une plante, un arbre...
L'installation avait pour but d'inviter les spectateurs à imaginer des scénarios de vie pour chaque «plante-os»: mutation accidentelle, géniale hybridation, fruit de l'évolution naturelle, d'une catastrophe nucléaire? La conséquence logique de nos actions? Si seulement Churchill avait pu y mettre son grain de sel...
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Source : slate.fr, Elodie Palasse-Leroux, 31/10/2015

mardi 13 octobre 2015

Les lentilles d'eau, nouvelles protéines du futur ?

Si les insectes et les micro-algues commencent à être connus pour être de possibles substituts des protéines animales dans les décennies à venir, le cas des lentilles d'eau est pour le moment presque confidentiel en France. Pourtant lors du salon IFT, la société Parabel a reçu le trophée 2015 du futur ingrédient pour Lentein plus, un extrait issu d'une variété de lentilles d'eau (Lemna) contenant 65 % de protéines. De son côté, Hinoman travaille aussi sur ce végétal en Israël. La société propose de cultiver la Mankai, une variété non-OGM du Sud-Est asiatique (consommée en Thaïlande, au Laos et au Vietnam), et de la produire hydroponiquement toute l'année. Les deux ingrédients de Parabel et Hinoman ont déjà été approuvés GRAS aux États-Unis.

1ha de lentilles d'eau = 10 ha de soja

En Europe, cette plante est étudiée aux Pays-Bas par l'Université de Wageningen, qui mène un projet de recherche de quatre ans sur « la lentille d'eau comme source de protéines pour l'alimentation humaine ou animale ». Ingrid Van der Meer, chercheuse à Wageningen et coordinatrice du projet, explique : «Pour cultiver la lemna, il n'est pas nécessaire d'avoir des terres arables : elle peut pousser dans des bassins ou dans de l'engrais dilué dans des serres. Elle se développe vite et un hectare de lentilles d'eau produit autant de protéines que dix hectares de soja !» En effet, la lemna contient entre 35 et 45 % de protéines, avec un rendement de biomasse de 30 à 40 tonnes. Elle a à peu près le même profil en acides aminés que le soja. «Cette plante contient aussi environ 15 % de glucides, 15 % de fibres, 5 % de lipides, mais aussi des vitamines, du β-carotène et des polyphénols (flavonoïdes, tanins et anthocyanes)», reprend la chercheuse. A part la nutrition humaine, la lemna pourrait aussi intégrer l'alimentation animale ou servir pour la purification des eaux industrielles.
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Source : processalimentaire.com, Amélie Dereuder, 12/10/2015

mardi 29 septembre 2015

Les insectes sont-ils plus sains que la viande ?

Une comparaison des profils nutritionnels des insectes à la viande mène au constat que les insectes sont plus appropriés pour lutter contre la sous-alimentation que la suralimentation.

Les insectes sont de plus en plus souvent présentés comme la source de protéines du futur. Si leur empreinte environnementale est assurément plus légère que celle de grands quadrupèdes, leur avantage nutritionnel n’a jusqu’à présent pas été clairement documenté.

D’où l’intérêt de cette étude menée par des chercheurs du Japon et du Royaume-Uni, mettant à l’épreuve l’hypothèse selon laquelle les insectes sont, d’un point de vue nutritionnel, préférables à la viande.

Deux modèles sur les bancs d’essai

Pour répondre à cette question, ils ont comparé les données de trois viandes fraîches (bœuf, porc et poulet) à celles de 6 espèces d’insectes, et ce pour l’énergie ainsi que 12 nutriments. Cette comparaison a été faite selon deux modèles:

  • le Nutrition Profiling de la FSA britannique, dit modèle Ofcom, qui a été développé pour lutter contre la malbouffe (aliments trop gras, salés et/ou sucrés), donc pertinent dans un contexte de suralimentation,
  • le Nutrient Value Score (NVS), utilisé dans l’est de l’Afrique et plus approprié au contexte de sous-alimentation.

Criquet, charançon et vers de farine plus nutritifs

Les résultats montrent d’abord une grande hétérogénéité des scores parmi les insectes, comparativement aux viandes. Trois insectes (le criquet, les larves de charançon et le vers de farine) obtiennent un meilleur score NVS que les viandes, ce qui signifie qu’ils sont particulièrement utiles dans un contexte de sous-alimentation.

Par contre, aucun insecte n’apparaît comme plus sain que la viande selon le score Ofcom, et ne peuvent donc pas faire valoir de supériorité nutritionnelle dans un contexte d’abondance.
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Source : foodinaction.com, Nicolas Guggenbühl, 28/09/2015

Référence : Payne C.L. et al. Are edible insects more or less 'healthy' than commonly consumed meats? A comparison using two nutrient profiling models developed to combat over- and undernutrition. Eur J Clin Nutr. 2015 Sep 16.

jeudi 24 septembre 2015

La première boucherie végétarienne de France à ouvert à Paris.

La première boucherie végétarienne de France vient d’ouvrir place d’Aligre à Paris. Elle s’adresse en particulier aux « flexitariens », soucieux de réduire leur consommation de viande pour des raisons environnementales et éthiques.

Manger de la viande...sans viande !
Le concept arrive à Paris avec la Boucherie végétarienne, ouverte depuis le 30 mai place d’Aligre dans le XIIe arrondissement. « Nous voulons sortir le végétarisme de ses frontières qui sont, à mon avis, trop strictes » déclare tout de go Philippe Conte, co-fondateur de la Boucherie végétarienne avec Isabelle Bensimon. Ce propriétaire enthousiaste souhaite ainsi attirer des consommateurs d’un nouveau genre, les « flexitariens ».

Le « flexitarisme » ? Un mouvement né aux Etats-Unis et qui s’est propagé aux Pays-Bas, en Suisse et en Allemagne ses dernières années. Doucement, il fait sa place en France. Ses adeptes, les "flexitariens", aiment la viande, oui,  mais sans abus.  Ils ont compris qu’une consommation quotidienne était néfaste et pour eux et pour l’environnement.

Manger pour préserver la nature

Philippe Conte l’explique très bien : « la production de viande est la première cause d’émission de gaz à effet de serre ». Le méthane et le protoxyde d’azote sont en effet émis par les déjections du bétail. Au regard du cheptel mondial, les conséquences sont désastreuses.

Outre cette émission directe de gaz à effet de serre, une grande partie de la déforestation primaire, comme au Brésil, en Indonésie ou au Congo, est due à la fabrication de l’alimentation des bêtes. Les forêts vierges sont détruite au profit des cultures vivrières, en général du soja. Le but étant de nourrir les animaux qui serviront ensuite à l’alimentation humaine.

« Mieux vaut donc se nourrir de végétaux directement, que de viande qui a elle-même consommé ces végétaux » justifie l’entrepreneur. Et pour Philippe Conte, manger des simili-carnés n’a que du bon puisque le soja utilisé pour sa production est certifié RTRS. Sans OGM, il est donc éthique, équitable et n’est pas issu de la déforestation primaire.

Un vrai goût de viande

La viande végétarienne, fabriquée aux Pays-Bas avec du soja, des pois et du froment, est conditionnée à -30 degrés pour obtenir les mêmes aspect et texture que la viande animale. Et le résultat est bluffant. Les morceaux de « poulet » des wraps ont exactement le goût de la vraie volaille. A la fois croustillant et savoureux, le poulet de la Boucherie végétarienne a donc tous les arguments pour convaincre les flexitariens.

C’est d’ailleurs lors d’un voyage aux Pays-Bas avec Isabelle Bensimon, que Philippe Conte goûte pour la première fois à la viande végétarienne. Sans le savoir. Impressionnés d’avoir mangé de la « fausse » viande aussi savoureuse, les deux associés décident alors de développer ce concept en France.

La Boucherie végétarienne est ainsi née, et depuis un mois, les clients affluent. Trinh, traiteur végétal à Saint-Mandé (Val-de-Marne), vient spécialement place d’Aligre pour goûter les simili-carnés qui font déjà beaucoup parler d’eux. Intriguée, la végétalienne aimerait intégrer ce type d’aliments dans sa production. Pour elle, l’ouverture de boucherie est du pain béni car « pour l’instant, il n’y a pas vraiment d’offre en France».

Créer l’envie

Philippe Conte en est persuadé, il suffit de proposer une alternative de qualité à la viande industrielle pour que la demande suive. Les lasagnes, burgers, et autres nuggets, grâce aux simili-carnés, deviennent  plus sains. Selon lui, « comme dans de nombreux domaines, la France est en retard mais sait très vite le rattraper ». Avec son associée, ils espèrent donc un développement rapide de ce marché.

Le propriétaire de la Boucherie végétarienne a vu juste. Depuis son ouverture, la fréquentation ne faiblit pas. L’ampleur du phénomène est telle, que des gens de la France entière aimeraient, eux aussi, se faire livrer ces fameux produits. La chose sera possible d’ici début 2016, via le site internet de la boutique. Le temps de mettre en place les moyens logistiques pour satisfaire ses futurs clients.

Des clients sensibilisés

« Notre clientèle est très diverse », se réjouit Philippe Conte. Beaucoup de jeunes, soucieux de combattre la souffrance animale, viennent pour remplir leur frigo de ces simili-carnés. « Nous rencontrons aussi de plus en plus de personnes qui nous disent vouloir réduire leur consommation de viande à cause de son impact sur le changement climatique » poursuit-il.

Une autre raison avancée par les flexitariens  soucieux de réduire leur consommation de viande, c'est la santé. « Les animaux d’élevage intensif sont gavés d’antibiotiques pour éviter aux maladies de se propager. » Philippe Conte persiste et signe. Manger de la viande végétarienne n’aurait finalement que du bon. Les personnes âgées, elles, achètent, bien souvent la viande végétarienne pour des questions de cholestérol.

Un végétarisme grand public

Les co-fondateurs de la Boucherie végétarienne n’ont pas choisi l’emplacement de leur boucherie au hasard. Le marché d’Aligre étant, selon les propriétaires, "une référence de l’alimentation à Paris car on y trouve des produits de qualité et innovants".

Isabelle Bensimon et Philippe Conte avaient en effet à cœur de s’adresser à tout le monde, et pas seulement aux "bobos parisiens", cette classe aisée, vaguement bohème et snob.

Et quand on lui demande si le terme "viande végétarienne" ne perturbe pas sa clientèle, Philippe Conte sourit. Il aime l'expression, un joli « viandoxymore » selon lui.
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Source : information.tv5monde.com, Amélie Revert, 13/07/2015

lundi 21 septembre 2015

La Suisse pourrait autoriser la consommation alimentaire d’insectes

Le gouvernement suisse a lancé la révision de l’Ordonnance sur les denrées alimentaires. Elle prévoit de considérer désormais comme comestibles les trois espèces les plus connues comme alimentaires, soit la larve du ténébrion meunier (ou ver de farine), le grillon domestique et le criquet migrateur.
Le texte a été mis en consultation à fin juin et les milieux intéressés ont jusqu’à fin octobre 2015 pour donner leur avis. L’OSAV (Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires) s’attend à ce que cette ordonnance révisée puisse entrer en vigueur dans le second semestre de 2016. Actuellement, une évaluation globale des risques est en cours. « Il pourrait encore y avoir des modifications ou des adaptations », précise l’Office.
Plusieurs producteurs sont d’ailleurs déjà sur les rangs, comme Essento ou Entomos.
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Source : swissinfo.ch, 12 août 2015

lundi 14 septembre 2015

Changeons notre chaîne alimentaire pour résoudre la crise de l’élevage

L’élevage français est en crise, les prix de la viande de porc ou du lait ne permettent pas d’assurer un juste revenu aux éleveurs. Comble du désarroi, nos voisins allemands ou espagnols parviennent à produire de la viande de porc à des prix encore plus bas que les éleveurs français, et emportent ainsi de nouvelles parts de marché. Inutile de s’étonner d’une telle situation puisqu’on a transformé l’élevage en industrie, en créant de toutes pièces des usines à lait, à volailles ou à porc et chacun sait qu’en matière d’industrie, ce sont les entreprises les plus compétitives qui gagnent. Et comment défendre les productions françaises, si l’usine à porc bretonne a exactement les mêmes caractéristiques que sa sœur allemande.

Xavier Beulin, le président de la FNSEA a la solution. Il demande trois milliards d’euros de financement pour développer des infrastructures analogues à celles de nos voisins et souhaite des allégements de charges sociales et de contraintes environnementales. De cette manière, la concurrence sera de plus en plus exacerbée et les élevages devront franchir un pas supplémentaire dans l’industrialisation, la spécialisation et la diminution des coûts de production.

Pour un nouveau paradigme

Au final, pourquoi ne pas délocaliser les usines animales au Brésil ou ailleurs, comme cela a déjà été fait pour les volailles. Toute cette évolution est, bien sûr, monstrueuse sur le plan du respect du vivant, totalement inadaptée sur le plan écologique, absurde sur le plan économique et social et même inefficace sur le plan nutritionnel.

Finalement, l’étendue des dérives des élevages industriels dans le monde est le reflet d’une crise profonde de civilisation que l’humanité devra résoudre pour clarifier ses rapports avec la nature, affirmer son respect du vivant et développer des modes alimentaires durables et équitables. C’est d’un changement de paradigme dont nous avons besoin. Quels traitements devons-nous accorder aux animaux ? Quelle juste place accorder à l’avenir à l’élevage après des millénaires de co-évolution avec les populations humaines ? Comment intégrer l’élevage dans une démarche globale d’agroécologie ? Quelles proportions de calories d’origine animale avons-nous réellement besoin ?

Les réponses à ce questionnement sont relativement simples et seule leur prise en compte permettrait de sortir de cette situation absurde dans laquelle une majorité d’éleveurs se sont fourvoyés avec le consentement tacite des consommateurs trop souvent attirés vers les prix les plus bas, et l’encouragement d’un marketing alimentaire à consommer beaucoup de produits animaux pour satisfaire des pseudo besoins nutritionnels.

La première question à résoudre est celle du respect des animaux, de leur comportement au-delà du soit disant bien être animal, un concept largement manipulé pour justifier l’enfermement des animaux délivrés des risques et des aléas naturels. Le comportement de chaque espèce ou race animales est parfaitement connu, celui de la vache de brouter l’herbe des prés ou le foin récolté, celui de la poule de gratter et picorer, du cochon d’utiliser son groin pour consommer feuilles, tiges et racines, et de se vautrer dans la boue pour se rafraîchir.

Le seul contrat domestique qui puisse être recevable entre l’éleveur et ses animaux serait que les conditions d’élevage soient compatibles avec le comportement global de l’espèce. Seulement, une conduite d’élevage la plus naturelle possible entraîne des contraintes considérables. Il est bien plus facile d’élever des porcs sur caillebotis qu’en plein air, de développer des élevages de chèvres hors sol que de conduire au pâturage ces animaux capricieux, de regrouper dans des usines à lait un nombre très élevé de vaches laitières autour d’un robot de traite plutôt que de déplacer un troupeau entier.

Les conditions contre nature des élevages industriels ont été en vain souvent montrées et dénoncées et au final justifiées par la prétendue nécessité nutritionnelle de fournir à chaque consommateur des quantités suffisamment élevées de produits animaux, à l’instar de ce slogan ministériel abusif des trois produits laitiers par jour, inefficace pour améliorer la santé osseuse. En fait, du point de vue nutritionnel, nos besoins quantitatifs en protéines animales sont très faibles. Cela tombe bien, car pour sortir de l’impasse, nous n’avons pas d’autre choix sur le plan éthique que de pratiquer des élevages plus naturels et moins performants, en améliorant même si possible les pratiques anciennes pas toujours vertueuses.

De nouvelles conduites d’élevage, exemplaires sur le plan du respect du comportement animal redonneraient un sens au métier d’éleveur et leur permettraient bien plus sûrement de gagner leur vie par la valorisation de leur production. Certes les prix de la viande et du lait doubleraient certainement, mais d’un autre côté, sur le plan de la santé publique, il serait souhaitable de consommer deux fois moins de produits animaux (qui plus est de meilleure qualité nutritionnelle). L’équation économique serait ainsi largement inchangée pour un bénéfice social et écologique considérable.

Réduire la consommation en produits animaux en Occident

Il est bien connu que les régimes alimentaires de type occidental sont bien trop riches en calories d’origine animale - qui représentent près du tiers de l’énergie ingérée. Cette consommation élevée de produits animaux pose en effet des problèmes de santé publique, en particulier via les graisses animales. Aussi pourrions-nous diminuer leur consommation de moitié : 15 % des calories en produits animaux équivalent encore à une consommation d’un yaourt, d’un œuf et de 100g de viandes par jour, ce qui peut suffire au plus grand nombre !

Inutile de rentrer dans le débat végétarien, une modération très sensible de la consommation de produits animaux serait déjà une solution raisonnable sur le plan nutritionnel et culturel, qui permettrait enfin une conduite plus écologique de l’élevage. Encore faudrait-il que les pouvoirs publics donnent un signal fort aux citoyens pour parvenir à réduire de moitié en 20 ans le niveau de consommation actuel des calories d’origine animale - ils ont plutôt tendance à faire l’inverse - en expliquant les bénéfices et les enjeux d’une telle évolution, à l’instar des objectifs de réduction de gaz à effet de serre.

D’ailleurs, la désintensification de l’élevage est aussi un objectif écologique majeur, puisque ce secteur par ses émissions directes, ou via les activités agricoles qui lui sont liées est responsable selon la FAO de près de 15 % des émissions de gaz à effet de serre. Le développement des élevages industriels de par le monde pour répondre à une consommation toujours croissante de produits animaux devrait déjà être dénoncé dans le cadre de la COP 21, ce qui serait une amorce de changement salutaire.

Développer un autre discours nutritionnel

Cependant l’élévation de la consommation de produits animaux demeure encore un marqueur culturel fort d’un enrichissement économique qu’il serait urgent de dénoncer. Les discours nutritionnels conventionnels ont trop longtemps mis l’accent sur les besoins en protéines si bien que beaucoup d’hommes le perçoivent comme le besoin majeur à assouvir avec les conséquences que l’on sait.

Il devient urgent de développer un autre type de vulgarisation, en cessant de justifier voire de soutenir les dérives des élevages actuels et en prônant une consommation modérée de produits animaux, puisque les besoins humains en protéines sont si faciles à couvrir en particulier par une alimentation végétale diversifiée.

Seule une perception plus juste de nos besoins pourrait contribuer à donner une place plus juste à l’élevage dans la chaîne alimentaire. Enfin délivrés de contraintes quantitatives insoutenables, des élevages plus nombreux et mieux répartis sur le territoire pourraient aider au développement d’une agro écologie nouvelle, tout en valorisant des espaces ou des productions agricoles.

Voilà, en tant que citoyens nous sommes responsables par nos choix alimentaires de l’évolution des élevages avec des conséquences écologiques et socio-économiques majeures. Les agriculteurs et les éleveurs devraient également prendre conscience de la complexité du problème et afficher la volonté ferme de le résoudre, plutôt que de chercher à produire toujours plus. Quand au discours politique, il est terriblement absent, comment pourrait-on parler juste à propos de climat ou d’écologie, tout en ayant une approche aussi conventionnelle et désuète en matière d’alimentation humaine pour satisfaire les lobbies. C’est à la société tout entière de remettre en question son approche de l’élevage et de ses habitudes alimentaires. Cela prendra du temps !

Christian Rémésy est nutritionniste et directeur de recherche à l’Institut national de recherche agronomique
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Source : C. Rémésy, LeMonde.fr, 2 septembre 2015

vendredi 11 septembre 2015

Matthieu Ricard : « Pour des menus végétariens à l’école »

Matthieu Ricard est essayiste, moine bouddhiste tibétain. Il sera présent au Monde Festival pour une « conversation » sur le thème « Faut-il continuer à manger de la viande ? » dimanche 27 septembre à 15h30 à l’Opéra Bastille.

S’opposant à l’introduction d’un menu végétarien au choix pour les élèves des écoles, menu laïque par excellence qui a la vertu de ne pouvoir offenser personne tout en étant bon pour la santé, l’environnement et, bien sûr, les animaux, le maire de Châlon-sur-Saône, Gilles Platret, a déclaré qu’un tel menu posait « d’énormes problèmes » et que, « selon un grand nombre de diététiciens », le régime végétarien « n’apporte pas toutes les ressources nutritionnelles suffisantes pour l’enfant, en particulier le fer, dont la carence est source de fatigue pour l’écolier ».

Lire aussi : Le repas végétarien, le plus laïc de tous

Feu mon père Jean-François Revel parlait de la « connaissance inutile », qui est aussi le titre de l’un de ses ouvrages. Il est en effet désolant que des connaissances scientifiques avérées et aisément accessibles soient traitées comme si elles n’existaient pas. Le mythe des protéines « incomplètes », perpétué notamment par l’industrie de la viande, repose sur des recherches anciennes et désuètes.

Selon des données plus fiables fournies par l’Organisation mondiale de la santé et l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les neuf acides aminés essentiels sont présents en quantité et en proportions suffisantes dans la plupart des nourritures végétales. De plus, en ce qui concerne la teneur en protéines, la comparaison d’une centaine d’aliments, établie par la FAO, montre que les 13 premiers de la liste sont des végétaux (dont le soja, 38,2 %, le pois carré, 33,1 %, le haricot rouge et les lentilles, 23,5 %) et un champignon (la levure de bière, 48 %).

La viande, loin derrière les nourritures végétales

La première viande, le jambon de porc, vient en 14e position avec 22,5 %, le premier poisson, le thon, en 23e position avec 21,5 %, tandis que les œufs et le lait viennent respectivement en 33e et en 75e position avec seulement 12,5 et 3,3 % de protéines. Une alimentation normale à base de végétaux suffit donc largement à pouvoir à nos besoins en protéines, en quantité et en qualité. De fait, c’est la nourriture carnée qui pose des problèmes. Une étude menée par l’institut EPIC (European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition), portant sur 521 000 individus, a montré que les sujets qui mangeaient le plus de viande rouge avaient 35 % de risques supplémentaires de développer un cancer du côlon que ceux qui en consommaient le moins.

D’après une autre étude publiée à l’université Harvard en 2012 par An Pan, Frank Hu et leurs collègues, portant sur plus de 100 000 personnes suivies pendant de nombreuses années, la consommation quotidienne de viande est associée à un risque accru de mortalité cardio-vasculaire de 18 % chez les hommes et de 21 % chez les femmes, tandis que la mortalité par cancer représente respectivement 10 % et 16 %. Chez les gros consommateurs de viande rouge, le simple fait de remplacer la viande par des céréales complètes ou d’autres sources de protéines végétales diminue de 14 % le risque de mortalité précoce. Par ailleurs, à cause du phénomène de bioconcentration, la viande contient environ quatorze fois plus de résidus de pesticides que les végétaux, les produits laitiers cinq fois plus.

Les polluants organiques persistants s’accumulent en effet dans les tissus graisseux des animaux et entrent ainsi dans l’alimentation humaine. Ces polluants organiques se retrouvent également dans la chair des poissons d’élevage, nourris d’aliments concentrés fabriqués entre autres à partir de protéines animales. Ces molécules sont non seulement cancérigènes, mais aussi toxiques pour le développement du système nerveux du fœtus et des jeunes enfants. Quant à la vitamine B12, indispensable à la formation de l’hémoglobine du sang, elle est pratiquement absente des plantes, mais on la trouve dans le lait et les œufs. Les végans [qui s’abstiennent de toute nourriture d’origine animale] ont, par conséquent, besoin de s’en procurer sous forme de compléments alimentaires, qui peuvent être fabriqués à partir de cultures de bactéries.

Recommandations inappropriées

Au vu des études menées depuis une vingtaine d’années, affirmer, comme le fait l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), à propos de ceux qui souhaitent s’abstenir de produits d’origine animale que « ce type d’alimentation fait courir à long terme des risques pour la santé » est donc scientifiquement inexact. Les recommandations qui en découlent sont, par voie de conséquence, inappropriées.

Pour ceux qui penseraient que le fait d’être végétarien affecte les performances physiques, la liste des champions végétariens et végans parle d’elle-même : Carl Lewis, titulaire de neuf médailles d’or aux Jeux olympiques, Bode Miller, médaillé olympique de ski alpin, Edwin Moses, invaincu 122 fois d’affilée sur le 400 mètres haies, Martina Navratilova, détentrice du plus grand nombre de titres dans l’histoire du tennis, l’ultramarathonien américain Scott Jurek, Patrik Baboumian, dénommé « l’homme le plus fort du monde », Fauja Singh, un Indien végétarien qui fut le premier centenaire à courir un marathon et le jeune champion du monde de la mémoire, Jonas von Essen.

Les assureurs ne s’y trompent pas : aux Etats-Unis, Kaiser Permanente, une importante société d’assurance-maladie, avec plus de 9 millions de membres, incite les médecins à « recommander une diète à base de végétaux à tous leurs patients ». Au Royaume-Uni, une assurance-vie propose même 25 % de rabais pour les végétariens et les végétaliens. Les auteurs d’une étude anglaise réalisée sur 65 000 personnes dont 17 000 végétariens ou végans concluent : « Les gouvernements qui désirent mettre à jour leur définition d’un régime propice à la santé et respectueux de l’environnement doivent recommander de diminuer la consommation de produits animaux. » A bon entendeur, salut !

Changer le monde : c’est le thème de l’édition 2015 du Monde Festival qui a lieu les 25, 26 et 27 septembre à Paris avec Anne Hidalgo, Emmanuel Macron, Thomas Piketty, Matthieu Ricard, Evgeny Morozov, Jordi Savall… Comment réguler Internet ? Va-t-on vers la fin de la croissance ? Quels contre-pouvoirs à la civilisation numérique ? La musique peut-elle changer le monde ? Retrouvez le programme sur Le Monde Festival.
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Source : LeMonde.fr, 1er septembre 2015