jeudi 17 décembre 2015

Des produits à base d'insectes chez Bio-Planet (Belgique)

Bio-Planet propose désormais des produits à base de grillons, de sauterelles et de vers de Buffalo. Avec la Cricket Croquette et le Bug Balls, Colruyt Group suit entre autres Damhert, Carrefour et Delhaize sur le chemin des produits à base d'insectes.

L'an dernier, les insectes trouvaient leur chemin vers les supermarchés Belges. Damhert lançait Insecta, une gamme de burgers et de nuggets à base d'insectes (lauréat des INN'awards), tandis que les retailers Delhaize et Carrefour se lançaient eux aussi dans l'aventure. Une bonne année plus tard, c'est donc à Bio-Planet de faire le pas.

Trois références

L’assortiment de Bio-Planet comprend trois produits à base d’insectes. La Cricket Croquette, qui ressemble à une croquette de crevettes, se compose pourtant de grillons. Ceux-ci sont moulus en farine et goûtent légèrement la noix. Les Red Bug Balls contiennent pour leur part des sauterelles moulues, assaisonnées avec des betteraves rouges et des épices. Les Green Bug Balls sont fourrées de vers Buffalo entiers, mélangés avec des petits pois et des épices. Bio-Planet a développé la nouvelle offre avec David Creëlle, le premier « chef insecte » de Belgique.

Durable

Bio-Planet n’a pas décidé sur un coup de tête d’ajouter des produits à base d’insectes dans son assortiment. Le supermarché bio de Colruyt Group a d’abord sondé ses clients pour voir s’ils partageaient la même vision à propos des insectes en matière de durabilité, de valeur nutritive et de goût. Pieter Ceuleers, manager de division Bio Planet : «Tout d’abord, les insectes offrent une plus-value écologique. En comparaison avec la viande, la quantité de matières premières nécessaires pour cultiver les insectes est moindre et les émissions de CO2 sont également plus faibles. En outre, les insectes contribuent à une alimentation plus équilibrée. Ils regorgent de substances nutritives : glucides, protéines, vitamines, acides aminés... »
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Source : gondola.be, Carole Boelen, 08/12/2015

mardi 15 décembre 2015

Des insectes dans nos assiettes ?

Pour deux milliards d'humains, manger des insectes n'a rien d'exotique. Nourrissant et écologique, ce "minibétail" incarne-t-il le futur de nos repas ?

Sur une mousse de petits pois est plantée une poignée de brindilles brunâtres. Ces tortillons ridés sont en fait des vers de farine, ou Tenebrio molitor, des rampants qui se nichent d’habitude dans les placards de cuisine. Mais ceux-ci ne risquent plus de bouger : ils sont cuits, tout comme les grillons qui suivent au menu du restaurant niçois Aphrodite. L’établissement est l’un des très rares en France à proposer des insectes à sa carte. Incrustés dans un crémeux de maïs, pattes repliées, les orthoptères semblent défier les gourmands de leurs gros yeux noirs : «Oserez-vous m’avaler ?» Au final, les gastronomes les plus téméraires les croquent, découvrant sous leur palais des notes de fruits secs, de noisette et de pop-corn.

A l’origine de cette rencontre improbable entre gastronomie et entomologie, un chef étoilé, David Faure, mû par un désir d’innover et de provoquer. Son menu insectes, intitulé Alternative food, ne constitue qu’une petite partie de son chiffre d’affaires. Mais il ne laisse personne indifférent. «Certains adorent, mais d’autres ne veulent plus revenir depuis qu’il est à la carte. J’ai même reçu des lettres d’insultes et des menaces, déplore-t-il. Pour moi ça ne change rien, je suis convaincu que les insectes sont le futur de nos assiettes.» Propos d’un allumé des fourneaux ? Pas du tout, estiment les biologistes, entomologistes et industriels que nous avons rencontrés. Ni anecdotique ni nouvelle, l’entomophagie (la consommation d’insectes) a, au contraire, un bel avenir devant elle. Elle constitue même l’une des clés pour subvenir aux besoins en protéines du genre humain, et ce de façon écologique.

Les insectes vont-ils glisser une patte dans nos gamelles européennes ? La question serait plutôt quand et comment.

Dans son lumineux bureau parisien, face à un sachet entamé de sablés aux insectes, le biologiste, auteur d’ouvrages pédagogiques et documentariste Jean-Baptiste de Panafieu confirme le pronostic. «Pour l’heure, la consommation de ces petites bêtes est anecdotique, mais dans dix ans, il y en aura dans les croquettes de nos chats et de nos chiens. Et dans une petite vingtaine d’années, nous en mangerons régulièrement.» Le scientifique a publié récemment Les insectes nourriront-ils la planète? (éd. du Rouergue), un ouvrage qui fait tomber beaucoup d’a priori sur le sujet.

D’abord, l’entomophagie a une longue histoire, même en Europe. Nos ancêtres préhistoriques collectaient déjà des chenilles, des termites et de grosses larves afin de se rassasier. Dans l’Antiquité, les Grecs salivaient devant des plats de larves de cigales et le philosophe Aristote a vanté leur exquise saveur dans ses écrits. Quant aux Romains, ils se régalaient de vers de chêne. «Même si la Bible interdit de manger des bêtes rampantes, on a continué partout en Europe à manger des insectes jusqu’à aujourd’hui», poursuit Jean-Baptiste de Panafieu.

Même vous, lecteur, en avez déjà savouré ! «On estime en effet qu’un Européen absorbe chaque année, à son insu, 300 grammes de bestioles diverses, cachées dans les fruits, broyées dans les farines, les confitures… Sans compter le colorant rouge E120, extrait de la cochenille.» Dans le monde, c’est beaucoup plus, et au grand jour. Selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), les insectes font partie de la consommation de 2 milliards d’individus. Le taxonomiste hollandais Yde Jongema, du laboratoire d’entomologie de l’université de Wageningen, a établi une liste de 1 900 bestioles comestibles à travers le monde. «Certes, ils ne constituent parfois qu’un plat occasionnel, et, dans des sociétés qui se sont enrichies, la consommation de volaille et de poisson a tendance à s’y substituer, tempère Jean-Baptiste de Panafieu. Mais les insectes font partie intégrante de l’alimentation “normale” en dehors des frontières européennes.»

Et le phénomène va s’amplifier car la consommation d’insectes est une réponse à l’accroissement des besoins alimentaires. D’ici à 2050, la FAO estime que la planète devrait compter 9 milliards d’habitants, et que la demande en protéines animales pourrait doubler. «Si tous les humains adoptaient notre type de consommation occidental, dans quelques dizaines d’années l’ensemble des terres cultivées ne suffirait plus à l’élevage des volailles et des bovins», alerte Jean-Baptiste de Panafieu. Le «minibétail» permettrait de sortir de l’impasse. D’abord parce qu’il présente un profil nutritionnel presque parfait. Le taux en protéines des insectes peut atteindre 75 %, pourcentage bien supérieur à celui de la plupart des viandes, œufs et volailles. Ils contiennent aussi des acides gras bénéfiques (oméga-3 et oméga-6), des vitamines, des fibres, des minéraux, et sont dépourvus de cholestérol. D’autre part, ces animaux à sang froid ont un très bon taux de conversion alimentaire. Ainsi, il faut seulement deux kilos de nourriture pour produire un kilo d’insectes contre huit pour produire un kilo de bœuf, d’après la FAO.

Cerise sur le sablé ? Nourrissants, les insectes ont, en plus, le bon goût d’être écolos. Les chercheurs de l’université de Wageningen ont montré qu’ils généraient beaucoup moins de gaz polluants comme le méthane et l’oxyde de nitrate. Produire un kilo de vers de farine engendrerait l’émission de 10 à 100 fois moins de gaz à effet de serre qu’un kilo de porc.

Conséquence : des industriels ont compris l’intérêt de ces petites bêtes comestibles. A Saint-Orens-de-Gameville, aux portes de Toulouse, de discrets hangars de 650 mètres carrés accueillent l’une des plus grandes sociétés européennes de production d’insectes destinés à l’alimentation humaine (et la seule française), Micronutris. A l’intérieur, si l’on ferme les yeux, on se croirait dans un champ en Provence. Dans de grandes caisses, des dizaines de millions de grillons stridulent en frottant leurs élytres. Dans une pièce à part, des cagettes empilées contiennent un petit peuple blanchâtre et grouillant : des vers de farine, l’autre production de Micronutris. Au total, l’entreprise peut livrer chaque mois plus d’une tonne de bestioles à croquer. Dans un an, elle aura multiplié par dix sa capacité de production.

A la tête de cette entreprise créée en 2011, un trentenaire visionnaire, Cédric Auriol, convaincu du bel avenir de l’entomophagie. «Lorsque nous avons commencé, nous avons réalisé des études montrant que seuls 0,5 % des sondés en France avaient ingéré des insectes. Moins de quatre ans après, ce chiffre a été multiplié par dix !» Et ceux qui n’ont pas encore croqué d’insecte ne sont plus aussi méfiants. L’année dernière, un sondage réalisé par Micronutris a prouvé que 40 % des 5 000 personnes interviewées avaient un a priori positif sur les insectes comestibles.

Produire de l’insecte coûte encore cher : sept fois plus que les veaux, vaches, cochons…

Pour l’heure, l’entrepreneur vend surtout à des professionnels. Par exemple, le chef niçois David Faure ou le maître chocolatier de Mazamet, Guy Roux, qui pose, comme des bijoux, des orthoptères et des coléoptères colorés sur ses macarons ou ses bouchées au chocolat. Via Internet, sa société a déjà livré 20 000 particuliers. Sous la forme de biscuits au fromage, à l’oignon, au citron, au caramel ou «natures», déshydratés et aromatisés pour l’apéritif, les insectes commencent à trouver leur clientèle. Malgré des tarifs salés. Comptez 12,50 euros pour un sachet de 10 grammes (soit 1 250 euros le kilo, la moitié du prix du caviar !) ou 7,50 euros pour un paquet de sablés de 160 grammes. Ces tarifs se répercutent chez les restaurateurs. Il faut débourser 63 euros pour le menu insectes de David Faure. «Nos coûts de production sont encore colossaux, justifie Cédric Auriol. Aujourd’hui, ils sont sept fois supérieurs à ceux des “autres” viandes bio. Il y a encore beaucoup de manipulations humaines pour nourrir, abattre, conditionner nos produits.» L’enjeu pour Micronutris est donc d’automatiser son activité. Il y a deux ans, il fallait 60 heures de main-d’œuvre pour obtenir un kilo de vers de farine, aujourd’hui 20 heures suffisent, et la société mise sur 20 minutes prochainement. Pour établir ce business sans équivalent dans l’Hexagone et être bien placée lorsque le marché décollera, la société doit également investir lourdement en recherche et développement.

Elle n’est pas la seule. Bipro, une start-up créée par trois entomologistes angevins, Delphine Calas, Fabienne Dupuy et Olivier List, ambitionne de commercialiser des insectes jusque dans les grandes surfaces. Mais les trois associés savent qu’il faut commencer par les rendre acceptables… donc invisibles. Leur plan ? Les introduire dans des barres énergétiques, les vendre sous forme de farine, de plats préparés… «L’idée est de faire entrer progressivement leur consommation dans les mœurs, explique Fabienne Dupuy. La plupart des gens nous disent être d’accord pour ingérer ces petites bêtes s’ils ne les voient pas.» Mais pour l’heure, les chercheurs d’Angers n’ont pas ouvert d’élevage. «Nous attendons que la législation se mette en place», disent-ils.

C’est là le dernier et le plus sérieux frein à la production de ces croquantes créatures : un règlement européen du 15 mai 1997 «soumet tout nouvel aliment à autorisation communautaire avant mise sur le marché». Le texte ne mentionne pas spécifiquement les insectes. C’est pourtant sur lui que se sont appuyés, l’année dernière, des fonctionnaires de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) pour interdire à un restaurant cambodgien d’Amiens de vendre vers, grillons et scarabées. La Commission européenne devrait donner son feu vert, mais cet assouplissement législatif ne prendra pas effet avant 2016. En attendant, les pionniers de ces micro-aliments se font tout petits car leur business est seulement toléré. Sur un coup de zèle de l’administration, plus de grillon grillé, de macaron d’insecte ou de mousse de petits pois truffée de vers de farine. Dommage !
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Source : geo.fr, Léo Pajon, 10/12/2015

lundi 14 décembre 2015

Algama veut mettre des micro-algues dans nos assiettes

C’est l’histoire de trois amis d’enfance qui, leurs études terminées, décident de créer leur propre entreprise. "J’avais découvert les vertus des micro-algues pour des raisons médicales et Mathieu cherchait un projet de création d’entreprise pour sa dernière année aux Arts et métiers", explique Gaëtan Gohin, le cofondateur d’Algama. Avec Alvyn Severien, étudiant à Paris-Dauphine, et Mathieu Goncalves Alves, Gaëtan Gohin, alors étudiant à Centrale Paris, veut travailler sur la formulation d’ingrédients alimentaires à base de spiruline, une micro-algue à haute teneur en protéines et vitamines. "Grâce à un financement de nos écoles, nous avons développé un partenariat de recherche avec le CNRS", souligne-t-il.
L'opportunité : répondre à une demande croissante des consommateurs occidentaux pour des produits à base de protéines végétales se substituant aux protéines animales.
Algama - habile jeu de mots qui reprend la thématique des algues et le début de leurs prénoms - naît en novembre 2013. Springwave, une boisson antioxydante et revitalisante, est mise à l’étude. La ­start-up décroche 120 000 euros auprès des proches et 25 000 euros des business angels Xavier Niel, ­Jacques-Antoine Granjon et Marc Simoncini. La boisson, aujourd’hui distribuée dans les hôtels haut de gamme du groupe Accor, obtient deux prix de l’innovation au Salon international de l’alimentation en 2104.

Algama développe depuis peu des sauces à base d’une autre micro-algue, la chlorelle, que lui fournit le groupe français Roquette. Les recettes ont été concoctées dans le laboratoire du génopole d’Évry (Essonne), où la start-up est installée pour la partie technique. "Il s’agit de mayonnaise sans allergène, convenant aux végétariens, aux végétaliens et aux allergiques à l’œuf", souligne Gaëtan Gohin. Avec un chiffre d’affaires de 10 000 euros en 2015, la société attend beaucoup d’un accord avec une grande chaîne de distribution, pour atteindre 2 millions d’euros, en 2016…
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Source : usinenouvelle.com, Adrien Cahuzac, 12/11/2015

samedi 12 décembre 2015

Le marché des protéines s’annonce très prometteur à l'horizon 2030

Le marché des protéines s’annonce très prometteur dans les décennies à venir compte tenu de l’évolution démographique mondiale et surtout de la « faim de viande » d’une grande partie de la population des pays émergents.

Le pôle de compétitivité Valorial, qui se définit comme « le pôle de l’aliment de demain », organisait le 3 décembre dernier à Rennes un colloque sur le thème « Protéines 2030. Les demandes à saisir en France et dans le monde ». Son objectif n’était pas tant d’étudier de ce que l’on appelle de plus en plus communément les « protéines du futur », comme les micro-algues, les insectes ou les champignons, que les protéines plus traditionnelles, en particulier la viande, à l’horizon 2030. En clair, le futur des protéines, plutôt que les protéines du futur.

Pour cela, Valorial a réuni de nombreux experts particulièrement reconnus dans leur domaine de spécialisation, comme Anne Mottet, chargée de politiques d’élevage à la FAO, Nico Van Belzen, le directeur général de la Fédération internationale laitière, Yves Trégaro, de FranceAgriMer sur la viande, ou encore Céline Laisney, d’AlimAvenir sur les protéines alternatives (substituts de viande), que WikiAgri a d'ailleurs déjà eu l’occasion d’interviewer. Plus largement, on pouvait trouver parmi les intervenants à ce colloque des représentants d’institutions publiques (FAO, France Agri Mer, Bretagne Développement Innovation), d’organisations professionnelles (Fédération internationale laitière), de groupes coopératifs (Cooperl Arc Atlantique, Groupe Even) et industriels (Groupe Avril, Nutriset), mais aussi des chercheurs (INRA, Agrocampus Ouest) et des consultants (AlimAvenir, Nielsen). Un blog sur le site internet de Valorial est également dédié au colloque. On peut y retrouver des interviews de certains des intervenants. Enfin, ce colloque a été un succès puisqu'il a attiré pas moins de 230 participants.

Une demande croissante en protéines animales et végétales

Que doit-on retenir de ce colloque ? Ces dernières décennies, deux observations ont pu être faites dans le secteur des protéines. La première est un très net accroissement de la demande de protéines animales à l’échelle mondiale. Ainsi que l’affirme Jean-Paul Simier, le directeur Agriculture et agroalimentaire de Bretagne Développement Innovation (BDI), « la planète a faim de viande ». En 50 ans, la consommation de viande dans le monde a été ainsi multipliée par 4 pour atteindre 320 millions de tonnes : la consommation de volailles a même été multipliée par 8, celle de porcs par 3 à 4 et celles de ruminants (bovins et ovins) par 2. Deux données mentionnées durant le colloque tendent à donner la mesure de cette soif immense de viande dans certains pays : le prix du porc en Chine est actuellement supérieur au prix du porc en Europe et le cours de la queue de porc dans ce même pays atteint le niveau de celui de l’épaule…

Cette évolution a été néanmoins différenciée selon les régions. Cet accroissement de la demande en protéines animales a été prononcé dans les pays émergents et faible dans les pays développés. Cela se traduit notamment par une modification significative du marché international de la viande depuis quelques années. La volaille, que Jean-Paul Simier qualifie de « véritable viande planétaire du XXIe siècle », est ainsi appelée à devenir dans les années à venir la première viande produite dans le monde devant le porc. Il en est de même dans les échanges internationaux où la volaille fait désormais l’objet de davantage d’échanges que le bœuf, pourtant la viande la plus échangée durant une longue période.

Sur la base de ces constats, les questions-clefs posées par ce colloque étaient donc de savoir (1) si ces tendances sont susceptibles de se poursuivre d’ici à 2030, (2) si nous parviendrons à satisfaire ces besoins croissants en protéines, notamment animales, compte tenu des contraintes démographiques et climatiques et (3) comment réussir à saisir cette « superbe opportunité », selon l’expression d’Anne Lacoste, la responsable de la R&D chez Cooperl, que représente ce vaste marché qui s’offre aux producteurs et aux transformateurs.

Une demande toujours aussi forte d’ici 2030

D’après des données du cabinet de conseil BIPE, elles-mêmes la plupart du temps fondées sur des chiffres de la FAO, qui ont été divulguées par Luc Ozanne (groupe Avril) durant le colloque, la demande mondiale en protéines devrait croître de 40 % entre 2010 et 2030, avec une hausse de 33 % pour les protéines animales et de 43 % pour les protéines végétales. La croissance de la demande de protéines végétales devrait être en grande partie liée à la demande de l’Afrique subsaharienne et de l’Inde, et la croissance de la demande de protéines animales à celle de la Chine en particulier.

Ceci peut être expliqué par deux facteurs. Le premier est bien entendu la croissance de la population mondiale qui s’établirait à 8,4 milliards en 2030. Cela représente par conséquent un accroissement de 22 % de la demande alimentaire entre 2010 et 2030. Cette croissance démographique concernerait en premier lieu l’Asie du Sud et l’Afrique subsaharienne. L’un des symboles de cette croissance est qu’à partir de 2017, il devrait y avoir plus de naissances au Nigeria qu’en Chine. Or, ce sont aussi les régions où la consommation de viande est le plus appelée à se développer dans les décennies à venir, notamment en lien avec la transition nutritionnelle.

Le second facteur est, en effet, la transition nutritionnelle que l’on peut observer dans les pays du Sud et les pays émergents suite à l’enrichissement et à l’urbanisation que les populations de ces pays ont pu connaître ces dernières années. Ce phénomène est maintenant bien connu. Il s’agit du passage d’un régime alimentaire contenant une faible quantité de protéines à un régime riche en protéines. Mais il tend à évoluer en plusieurs étapes. Luc Ozanne parle à ce propos de deux transitions alimentaires.

Baisse de consommation de viande de 2 % en Europe entre 2010 et 2030

La première transition se caractérise par un accroissement de la consommation de protéines, avant d’aboutir à une stabilisation. Durant la phase d’augmentation de la consommation, on peut observer, dans un premier temps, une consommation plus importante de protéines végétales, puis dans un second temps, de protéines animales. Ensuite, durant la phase de stabilisation, les populations tendent à consommer davantage de protéines animales que végétales. L’Inde et l’Afrique subsaharienne se situeraient dans la phase d’accroissement de la quantité de protéines végétales consommées, tandis que la Chine et la région Afrique du Nord-Moyen-Orient sont dans la phase d’augmentation significative de la consommation de protéines animales. A l’horizon 2030, Luc Ozanne estime que l’Inde et l’Afrique subsaharienne seraient dans cette phase de plus importante consommation de viandes, tandis que la Chine pourrait entrer dans la seconde transition alimentaire. Au total, en 2030, 56 % de la population mondiale devrait être dans cette première transition avec une consommation de protéines encore majoritairement végétales.

La seconde transition alimentaire se caractérise, quant à elle, par une stagnation de la quantité de protéines consommées suivie de deux évolutions possibles : (1) une baisse de cette consommation avec une réduction de la consommation de protéines animales, malgré une augmentation de celle de protéines végétales (c’est la transition dite « française »), (2) un accroissement de la consommation de protéines avec une hausse de celle des protéines végétales et une stabilité de celle des protéines animales (c’est la transition dite « américaine »). On devrait ainsi observer une baisse de la consommation de viande en Europe entre 2010 et 2030, de l’ordre de 2 %. Cette baisse serait d’ailleurs encore plus prononcée en Europe occidentale. Pour Luc Ozanne, le passage de certains PED à une seconde transition alimentaire pourrait cependant être plus rapide que ce que l’on a connu en Europe occidentale car celle-ci devrait même s’avérer nécessaire pour des raisons sanitaires (compte tenu de l’accroissement très rapide du surpoids et de l’obésité de la population de certains pays émergents) et environnementales.

D’immenses besoins protéiques à satisfaire

Alors comment parvenir à nourrir en protéines à l’horizon 2030 une population plus nombreuse et qui consomme davantage de protéines animales ? Produire plus de protéines implique en premier lieu d’accroître les terres arables. Selon Luc Ozanne, ces terres croîtraient de 3,4 % entre 2010 et 2030, mais avec une évolution très différenciées selon les régions : baisse prévisible en Europe et en Amérique du Nord, accroissement en Amérique latine et en Afrique subsaharienne qui disposent d’importantes réserves potentielles de terres non exploitées, ce qui n’est pas le cas pour l’Asie.

Produire plus implique aussi de limiter les gaspillages de récoltes et surtout de poursuivre l’amélioration des rendements. On est ainsi passé de 2,3 personnes nourries par hectare cultivé en 1960 à 4,5 personnes en 2010. Les projections pour 2030 fournies par Luc Ozanne indiquent que l’on pourrait passer à 5,3 personnes par ha cultivé. Cet accroissement des rendements pourrait néanmoins être limité par les effets négatifs du changement climatique. A ce propos, Luc Ozanne affirme que 50 % des études scientifiques prévoient un effet négatif du changement climatique sur les rendements à l’horizon 2030, et 50 % un effet positif. En revanche, à l’horizon 2050, on est plutôt dans un rapport 80-20.

En définitive, on devrait parvenir à satisfaire la demande en protéines à l’échelle mondiale à l’horizon 2030, mais avec des disparités accentuées selon les régions. Les déficits entre consommation et production de protéines devraient ainsi s’accroître en Afrique, en Asie et en Afrique du Nord-Moyen-Orient. Par ailleurs, il devrait y avoir de plus en plus de difficultés à satisfaire une demande en produits animaux en raison d’un déficit en tourteaux d’oléagineux, qui devrait avoir des répercussions sur la production de viande et donc sur son prix. La demande mondiale de tourteaux progresserait de 53 % entre 2010 et 2030. A cet horizon, la demande dépasserait l’offre de 15 %. Cela a d’ailleurs conduit plusieurs institutions à revoir à la baisse leurs perspectives de production de viande dans les décennies à venir.

Un marché très prometteur

Le marché des protéines apparaît par conséquent extrêmement prometteur. Christian Couilleau, le directeur général du groupe Even, estime ainsi qu’il est très positif d’être certain d’avoir un marché dans les décennies à venir, ce que beaucoup d’autres secteurs d’activités aimeraient avoir.

Si l’on effectue une synthèse des différentes interventions, on peut distinguer trois types d’opportunités. La première, la plus évidente, est celle du marché des pays émergents se situant dans la première transition nutritionnelle, « ceux qui ont faim », selon l’expression d’Anne Lacoste (Cooperl), et plus précisément qui ont « faim de viande » (Jean-Paul Simier).

Le second type d’opportunités correspond à un certain nombre de marchés spécifiques de protéines dans les pays développés, comme dans les pays émergents. Dans ce cas-là, l’offre doit chercher à répondre à des besoins nutritionnels spécifiques. Christian Couilleau a identifié trois de ces besoins : (1) le marché infantile dans le monde et notamment en Afrique, (2) le marché de ce qu’il appelle les « moments spéciaux de la vie » : personnes souffrant de maladies graves comme les cancers, gériatrie alors qu’un très grand nombre de personnes âgées souffrent de dénutrition lorsqu’elles sont en maison de retraite, et (3) le marché des sportifs. Chacune de ces catégories a des besoins nutritionnels propres auxquels le marché se doit de répondre. Christophe Couilleau y rajoute également un marché lié aux tendances à la mode, comme c’est le cas aujourd’hui du marché des « sans » (gluten, lactose, etc.).

Le troisième type d’opportunités consiste à tenter de répondre aux besoins en protéines des pays développés, de « ceux qui ont le choix » selon l’expression d’Anne Lacoste, qu’il convient, selon elle, de rassurer et de séduire. Dans un contexte où les populations des pays riches, comme la France, tendent à consommer moins de viande, mais aussi davantage de protéines végétales, et sont tentées pour une partie d’entre elles par le fléxitarisme – elles décident de manger moins de viande, sans être pour autant végétariennes car elles aiment la viande –, il existe certainement des opportunités dans le développement des protéines alternatives (micro-algues, champignons, insectes) ou encore des produits de substitution à la viande.

Céline Laisney a, en effet, souligné à quel point les substituts à la viande deviennent de plus en plus sophistiqués et se rapprochent de la viande. Ce fut, dans un premier temps, le tofu, puis les steaks végétaux pour en arriver aujourd’hui aux steaks à base de protéines végétales structurées qui ont une saveur et une texture de plus en plus proches de celles de la viande. Ces derniers sont notamment développés par des start-ups aux Etats-Unis. Mais des industriels de la viande plus classiques semblent s’y mettre également dans certains pays. C’est le cas en Allemagne où des industriels comme Wiesenhof commercialisent désormais des produits pour végétariens, par exemple une mortadelle et une saucisse, la célèbre Wurst allemande. On observe d’ailleurs une évolution similaire pour les produits laitiers avec des laits végétaux.

La difficulté d’anticiper l’avenir

Au final, les interventions étaient toutes de qualité et intéressantes, mais ce type de colloque tend à montrer toute la difficulté à pouvoir se projeter dans l’avenir, en l’occurrence à l’horizon 2030.

La tentation est, en effet, grande d’analyser la situation présente et le passé récent pour tenter d’identifier par extrapolation ce que peuvent être les évolutions de demain. C’est ce qu’ont fait certains intervenants avec le risque de sous-estimer les « chocs » ou les « ruptures » qui sont susceptibles de se produire d’ici là, que ceux-ci soient positifs (innovations technologiques, nouveaux acteurs « disruptifs » sur un marché) ou négatifs (catastrophe sanitaire, crise de confiance des consommateurs, crise économique, hausse brutale du prix des matières premières ou des denrées alimentaires, conflits, pandémies, etc.). A la fin des années 1990, lorsque l’on envisageait l’avenir dans le secteur de la téléphonie mobile, bien peu d’experts auraient pu imaginer, par exemple, l’avènement des smarphones qui ont tout changé dans ce secteur au point que le géant de l’époque, Nokia, qui n’a rien vu venir, a disparu aujourd’hui.

Une autre approche consiste à tenter d’identifier des « signaux faibles » ou des « faits porteurs d’avenir ». C’est également l’approche qui a été privilégiée par certains intervenants. Mais, en l’occurrence, il n’est pas toujours facile de les distinguer des « tendances à la mode », de fait éphémères. Le cas des régimes « sans » est assez symptomatique de ce point de vue : est-ce une simple mode sans lendemain ou bien une tendance émergente ? Il en est de même pour la consommation de micro-algues ou a fortiori d’insectes.

Enfin, une dernière approche consiste à s’appuyer sur un certain nombre de tendances lourdes, comme l’évolution démographique, les transitions nutritionnelles dans les pays émergents ou le changement climatique, pour tenter d’anticiper les grands enjeux futurs. C’est celle qui a été suivie par quelques intervenants, tels que Luc Ozanne, et c’est certainement celle qui permet le mieux d’appréhender ce que le monde de demain nous réserve : une demande croissante en protéines.
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Source : wikiagri.fr, Fougier Eddy, 11/12/2015

vendredi 11 décembre 2015

Ils imaginent la nourriture du futur à partir des boulettes de viandes Ikea

"Tomorrow’s Meatball" est une exploration de la nourriture du futur imaginé par Space10, un laboratoire d’innovation appartenant à Ikea. Space 10 a présenté, le 9 décembre 2015, ses alternatives aux classiques boulettes de viandes Ikea. 

Insectes, algues, impression 3D… La food aussi est un lieu d’innovation pour Space10, le labo de recherche indépendant d’Ikea. Basé à Copenhague, Space10 a présenté le 9 décembre 2015 «Tomorrow’s Meatball», une exploration de la nourriture du futur. Avec cette plongée dans un avenir pas si lointain que cela, le hub d’innovation d’Ikea cherche surtout des alternatives à la consommation de viande, qui est de plus en plus dénoncée comme responsable des problèmes environnementaux. D’après l’ONU, la demande en nourriture devrait augmenter de 70% ces 35 prochaines années. A la clé des problèmes de pollution de l’eau douche, de déforestation, d'érosion des sols, et plus encore… "Avec l’augmentation de la demande de nourriture, nous devons commencer à intégrer des ingrédients alternatifs dans nos repas quotidiens" explique Bas Van de Poel, un artiste en résidence au labo Space10.

"Rendre familier ce qui n’est pas familier"                                                                    

"C’est compliqué de photographier ce que nous mangerons dans un futur proche, des insectes, de la viande artificielle note Bas Van de Poel, nous avons voulu rendre familier quelque chose qui ne l’est pas" ajoute-t-il. Le choix de la boulette de viande Ikea était logique pour Kaave Pour, directeur de la création à Space10 : "Nous avons utilisé les boulettes de viandes comme un tableau des scénarios possibles de la nourriture du futur, car nous voulions présenter des recherches complexes de manière fun, simple et familière". Les boulettes de viandes sont aussi présentes dans différentes cultures, "des spaghettis italiens ou américains, à la boulette de viande suédoise, en passant par les keftas"  explique Kaave Pour. Très visuelle, l’exploration de territoires gastronomiques encore inconnus du Space10 questionne su
r la manière de consommer et les alternatives possibles dans un futur tout proche.
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Source : lsa-conso.fr, Charlène Lermite, 10/12/2015

mercredi 9 décembre 2015

Frankenfish et autres aliments “de laboratoire”

Les Etats-Unis autorisent pour la première fois la vente de saumon transgénique, baptisé “Frankenfish” par ses détracteurs. Une tendance à l’aliment “de laboratoire” qui prend de l’essor outre-Atlantique.

Il n’aura fallu qu’une vingtaine d’années pour que le saumon transgénique – baptisé « Frankenfish » par ses ennemis – soit officiellement autorisé dans les assiettes américaines par la Food and Drug Administration (FDA, agence de santé américaine). Il est l’œuvre de la société AquaBounty Technologies (Massachusetts) qui a créé un saumon grossissant deux fois plus vite que ses congénères en lui injectant des gènes de saumon chinook du Pacifique – pour accélérer sa croissance – et ceux d’une anguille de roche – pour résister au froid, qui stoppe cette croissance durant l’hiver. Le but de l’opération était clair  : produire et vendre deux fois plus vite en réduisant de moitié le coût de l’élevage. Pas question d’améliorer le goût ni la qualité, ni de modifier l’apparence, simplement de doubler les volumes et les bénéfices.

Dès le début de son processus d’homologation, « Frankenfish » a suscité l’opposition de nombreux secteurs  : associations de consommateurs, militants anti-OGM ou pêcheurs professionnels, qui ont multiplié les recours et les enquêtes d’impact pour retarder sa mise sur le marché. S’il apparaît prématuré d’évaluer les risques pour la santé humaine en l’absence de toute consommation de masse, la question de son éventuelle prolifération en milieu naturel et de la contamination des saumons sauvages en cas d’évasion de ses fermes d’aquaculture mérite d’être posée. Différentes études ont montré que le croisement entre saumons d’élevage et sauvages conduit à terme à l’affaiblissement, voire à l’élimination de ces derniers.

Pas de mention « OGM »

AquaBounty affirme avoir réglé le problème en élevant uniquement des femelles stériles (triploïdes) qui ne pondent pas, et en installant ses sites de production à l’intérieur des terres et en milieu fermé. Au Canada, où, en cas d’évasion, les petits « Frankenfish  » ne survivraient pas dans les eaux trop froides, et à Panama, où, à l’inverse, les eaux trop chaudes les condamneraient à une mort certaine.
La FDA a cependant précisé qu’en aucun cas ce saumon transgénique ne pouvait être élevé sur le territoire des Etats-Unis. Courageux mais pas téméraire  ! La mention «  contient des OGM  » n’a pas été jugée nécessaire sur les étiquettes. Puisqu’on certifie que «  Frankenfish  » est comestible, pourquoi ajouter plus de détails qui ne pourraient que susciter de la confusion chez le consommateur, tel est le raisonnement de la FDA. AquaBounty souligne de son côté que la production de ces saumons transgéniques sera créatrice d’emplois et contribuera à relever le défi de nourrir 9 milliards de Terriens à l’horizon 2050.

C’est l’un des principaux arguments de tous les promoteurs d’une nouvelle façon de manger, grâce à des aliments concoctés dans le secret des laboratoires. Le mouvement est en marche depuis quelques années sur la Côte ouest des Etats-Unis autour de la Silicon Valley où fleurissent les start-up décidées à briser le modèle alimentaire dominant. Comment  ? En remplaçant les protéines animales par des protéines végétales ou de synthèse, ce qui permettra en outre de réduire la consommation de viande, pour le plus grand bien de l’environnement et de la santé de l’humanité. Tel est le discours de base qui n’est pas destiné à un petit cercle de végétariens ou autres mais vise à convaincre l’ensemble du public.

Agriculture cellulaire

Selon Tim Geistlinger, de Beyond Meat, qui a créé un Beast Burger à base de pois jaunes du Canada et de 35 autres ingrédients, «  l’objectif n’est pas de produire un substitut à la viande mais un aliment riche en protéines, sans soja ni OGM  ». Ces «  nouveaux aliments  », fruits d’une agriculture cellulaire – à base de cellules souches ou artificielles –, se multiplient comme des petits pains  : mayonnaise sans œuf d’Hampton Creek, œufs sans poule de Clara Food, lait de vache sans vache et à base de levures de Muufri, viandes et fromages à base de plantes chez Impossible Foods…

Les «  nourritures  » ainsi produites gardent néanmoins l’apparence de leur nom et nécessitent un minimum de préparation avant d’être mangées. Avec Soylent (Soylent.com), on passe au stade supérieur. Plus question de perdre son temps à faire ses courses, à cuisiner ou à s’asseoir à table pour le repas, toutes activités nuisibles au travail et à la rentabilité. Soylent a la solution  : une poudre contenant tous les éléments nutritifs nécessaires au corps humain, qu’il suffit de dissoudre dans deux ou trois volumes d’eau et d’avaler vite fait avant de retourner devant son écran. Dix dollars la ration quotidienne de 2 000 calories, breakfast, déjeuner et dîner. L’équivalent du passage à la pompe à essence pour l’homme, qui pourra choisir son carburant sans plomb ou sans gluten en fonction des mélanges disponibles. Après le fast-food et la junk food, place à la « Frankenfood ». Appétissant, non?
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Source  : lemonde.fr, JP Géné, 09/12/2015